«Écoute, le travail a pris toute mon existence. Peu à peu, il m'a volé ma mère, ma femme, tout ce que j'aime. C'est le germe apporté dans le crâne, qui mange la cervelle, qui envahit le tronc, qui ronge le corps entier. » Ce témoignage n'est pas extrait du journal intime d'un trader, mais du roman de Zola, L'oeuvre, écrit en 1886. La dépendance au travail, ou ergomanie, workaholisme pour les Américains ou «boulomanie » pour les Québécois, est aujourd'hui un enjeu de santé publique. Cette addiction se développe en plusieurs phases, allant des difficultés dans la vie familiale et sociale jusqu'aux complications liées au stress, à la dépression et à l'épuisement professionnel. L'addict est dans une relation fusionnelle avec son travail. Souvent cadre supérieur de profession libérale (médecin, avocat), il est perfectionniste et présente des difficultés à déléguer les tâches.
La France manque de statistiques sur ce type d'addiction, qui n'est pas « médicalisée » du fait que ce rapport au travail est plutôt encouragé par les valeurs de la société. Le phénomène est plus étudié aux États-Unis ou au Japon, où un actif sur cinq serait dans une relation de dépendance à son travail. Une étude espagnole récente apporte des informations précieuses sur cette question : en Espagne, révèlent le psychologue Mario Del Libano et ses collègues de l'Université de Jaume, 12 pour cent de la population active est workaholique, et huit pour cent travaille plus de 12 heures par jour. M. Del Libano et son équipe se sont servis d'une nouvelle échelle de mesure de la dépendance au travail qu'ils ont soumise à 2 700 employés, et ont constaté qu'au-delà de 50 heures par semaine, on passe d'un travail intense, mais normal, à un travail pathologique de type addictif.
La dépendance au travail comprendrait deux composantes : d'une part, l'implication extrême en termes de temps, d'autre part, une logique compulsive dans laquelle le sujet relie très fortement son estime de soi à ses réalisations professionnelles, travaille pour apaiser une anxiété de fond et pour combattre un sentiment de culpabilité en cas d'oisiveté.
M. Del Libano a montré que certaines situations sont favorables à l'éclosion d'une dépendance au travail : c'est notamment le cas des pressions sociales, familiales ou financières, de la peur de perdre son emploi, de la compétition sur le marché du travail, du besoin de réussir, ou d'un manque d'affection personnelle que l'on cherche à compenser par une intense activité et une reconnaissance professionnelle.
L'étude espagnole révèle que le score de dépendance au travail est inversement relié à la qualité de vie physique et psychique. En France, les psychothérapeutes recommandent souvent aux personnes qui craignent d'être entrées dans une relation excessive avec leur travail de réaliser un petit autodiagnostic préalable. En fonction des résultats, il peut être utile de se faire aider par un thérapeute ou un coach. Ce dernier peut donner des conseils de bon sens pour réorganiser la vie vers plus de sérénité, moins de stress lié à la charge de travail, et plus de reconnaissance extraprofessionnelle, que ce soit par des loisirs constructifs ou la présence auprès de ses proches.
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