• L'obésité engendre une augmentation de l'insuline dans le sang. Cette molécule perturbe le fonctionnement d'une région cérébrale impliquée dans la sécrétion des hormones sexuelles féminines.

    Bénédicte Salthun-Lassalle

    L'obésité est la première maladie non infectieuse au monde ; un Américain sur deux et un adulte européen sur trois est en surpoids ou obèse. Elle favorise l'hypertension artérielle, le diabète de type II, les maladies cardiaques, certains cancers, etc. On sait aussi qu'un excès de graisses engendre des anomalies de la reproduction : le surpoids perturbe les cycles ovariens et favorise l'infertilité, les fausses couches et les complications pendant la grossesse. Kathryn Brothers, du Département de physiologie de l'Université Johns Hopkins à Baltimore aux États-Unis, et ses collègues ont identifié un lien entre l'obésité et la fertilité : l'insuline, l'hormone de régulation de la concentration sanguine en sucre, est trop élevée dans le sang des obèses et perturbe l'« axe » de la reproduction.

    Cet axe comprend plusieurs régions cérébrales et les organes reproducteurs : chez la femme, il déclenche la libération par les ovaires d'un gamète ou ovule. À chaque cycle ovarien (ou menstruel), l'ovaire libère un ovule. Pour ce faire, une hormone de l'hypothalamus cérébral, la gonadolibérine ou GnRH, est libérée cycliquement dans l'hypophyse, une glande à la base du cerveau, où elle entraîne la sécrétion des hormones gonadotrophines, la FSH (Follicule stimulating hormone) et la LH (Luteinizing hormone). Les variations de ces hormones dans le sang et notamment un pic de la concentration en LH au milieu du cycle déclenche l'ovulation.

    Trop d'insuline, trop d'hormones sexuelles

    Les anomalies de la reproduction sont souvent liées à des perturbations des concentrations sanguines en ces hormones sexuelles. Or les femmes obèses ont des cycles ovariens irréguliers et l'obésité s'accompagne généralement d'une résistance à l'insuline (dans le foie, les muscles et le tissu adipeux), c'est-à-dire que les récepteurs de l'insuline sur les cellules ne réagissent plus à l'hormone, ainsi que d'un excès d'insuline dans le sang.

    Pour déterminer le rôle de l'insuline dans l'axe de la reproduction, et notamment l'hypophyse, les biologistes ont créé des souris génétiquement modifiées pour ne plus exprimer les récepteurs à l'insuline dans l'hypophyse uniquement. Puis ils ont soumis ces souris, ainsi que des souris normales, à un régime riche en graisses afin de les rendre obèses. Résultats : les souris témoins obèses sont stériles et présentent une concentration sanguine en LH anormalement élevée – ce qui empêche l'ovulation –, après la sécrétion de GnRH ou une stimulation par l'insuline. En revanche, les souris obèses dépourvues de récepteur à l'insuline dans l'hypophyse se reproduisent normalement.

    Ces résultats montrent que les récepteurs de l'insuline dans l'hypophyse sont toujours fonctionnels chez les souris normales obèses : la résistance à l'insuline en cas d'obésité concerne certains organes, tel le foie, mais pas l'hypophyse. En outre, l'excès d'insuline chez ces souris obèses stimule en permanence la sécrétion des hormones sexuelles, ce qui engendre des troubles du cycle ovarien et de la reproduction. En revanche, les souris obèses qui ne sont plus sensibles dans l'hypophyse à l'excès délétère d'insuline n'ont pas de problème de fertilité. Ces travaux permettront de mieux traiter les femmes qui souffrent du syndrome des ovaires polykystiques, une pathologie associant des cycles ovariens irréguliers, une obésité et un diabète de type II.

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    © Shutterstock/Natalija Brenca
    © Shutterstock/Natalija Brenca

    Les femmes en surpoids ou obèses ont parfois trop d'insuline dans leur sang; cette hormone diminue la fertilité en perturbant la sécrétion des hormones de la reproduction.

    Pour en savoir plus

    K. Brothers et al., Recue of obesity-induced infertility in female mice due to a pituitary-specific knockout of the insulin receptor, Cell Metabolism, vol. 12, pp. 295-305, 8 septembre 2010.

    L'auteur

    Bénédicte Salthun-Lassalle est journaliste à Pour la Science.

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  • Le cortex cérébral des animaux vertébrés a évolué à partir d'une structure nerveuse apparue chez un animal marin, peut-être un ver, au Précambrien.

    Jean-Jacques Perrier

    Chez les animaux, le système nerveux central intègre les informations sensorielles et envoie des ordres moteurs dans l'organisme. Le cerveau des vertébrés comprend à sa périphérie un cortex, organisé en couches cellulaires, tandis que celui des arthropodes et des vers annélides se caractérise par la présence de structures sensorielles arrondies, les corps pédonculés. Or l'équipe de Detlev Arendt et Raju Tomer, du Laboratoire européen de biologie moléculaire (EMBL), à Heidelberg, propose que le cortex cérébral des vertébrés et les corps pédonculés des annélides ont la même origine ancestrale : une structure nerveuse qui s'est différenciée chez un ancêtre commun vivant dans la mer au Précambrien, il y a 600 à 550 millions d'années.

    Le cerveau des vertébrés ressemblerait-il donc à celui de simples vers ? Pas du tout, selon Philippe Vernier, responsable du Laboratoire Neurobiologie et développement de l'Institut Alfred Fessard, à Gif-sur-Yvette : plus de 500 millions d'années d'évolution divergente les ont rendus très différents. En fait, le travail des chercheurs de l'EMBL indique seulement qu'un plan de base du système nerveux des vertébrés était déjà établi au Précambrien.

    Au cours de l'évolution animale, les neurones — cellules douées d'activité électrique apparues chez les cnidaires (méduses, anémones) il y a quelque 680 millions d'années — se sont regroupés en ganglions lorsque les organismes ont acquis une symétrie bilatérale. Cette symétrie définit, chez les animaux dits bilatériens, des axes antéro-postérieur (avant-arrière), dorso-ventral (dessus-dessous) et médio-latéral (du milieu vers les côtés). Les bilatériens sont aujourdhui divisés en trois groupes : les lophotrochozoaires (mollusques, vers plats, vers annélides), les ecdysozoaires (arthropodes, vers nématodes et autres organismes croissant par mues successives), et les deutérostomiens, comprenant les échinodermes (oursins, étoiles de mer, etc.) et les cordés, dont les vertébrés.

    La présence de centres nerveux à l'avant du corps, chez les différents bilatériens, est parfois interprétée par les spécialistes comme résultant de convergences évolutives fortuites dépendant de l'expression des gènes du développement : des réseaux de gènes similaires, sortes de boîtes à outils, codent des structures semblables mais dont les fonctions diffèrent selon les groupes de bilatériens. D'après une autre interprétation, un plan du corps, un « zootype », commun aux bilatériens, est apparu chez leur dernier ancêtre commun, nommé Urbilateria — dont on ne connaît aucun fossile. Ce plan, qui comprenait un système nerveux central primitif, aurait été conservé dans les trois groupes de bilatériens qui en sont dérivés.

    C'est effectivement ce que montrent Detlev Arendt et ses collègues. Ils ont perfectionné une méthode alliant microscopie confocale, biologie moléculaire et imagerie 3D, qu'ils ont nommée profilage par enregistrement d'images. Cette méthode consiste à analyser l'expression moyenne d'un certain nombre de gènes choisis dans des territoires déterminés chez plusieurs vers à des stades de développement identiques, puis à reconstituer la répartition spatiale de ces expressions en fusionnant les images obtenues. Elle permet ainsi de reconstituer en trois dimensions la topographie de l'expression d'un ensemble de gènes dans un embryon. En étudiant des larves du ver annélide marin Platynereis dumerilii, les chercheurs ont produit une carte génétique 3D des corps pédonculés en développement, qu'ils ont comparée à celle des corps pédonculés de l'embryon de drosophile et à celle du cortex cérébral, ou pallium, de l'embryon de souris.

    Il en ressort qu'une combinaison unique de gènes s'exprime dans les structures nerveuses de Platynereis et de la souris. Les deux empreintes moléculaires sont « trop similaires pour être d'origines indépendantes et doivent partager un précurseur commun », concluent les chercheurs. En particulier, la combinaison de gènes qui contrôlent la position et la multiplication des cellules dans les structures nerveuses en développement est semblable. L'empreinte moléculaire cérébrale de Platynereis diffère en revanche davantage de celle de la drosophile, vraisemblablement parce que certains gènes exprimés au cours du développement ont acquis des fonctions différentes chez les arthropodes. On sait en effet, précise Ph. Vernier, que le génome de Platynereis, séquencé partiellement en 2005, ressemble plus à celui des vertébrés qu'à celui des ecdysozoaires, donc des insectes ; ce groupe se serait éloigné génétiquement plus vite de l'ancêtre commun Urbilateria que ne l'ont fait les lophotrochozoaires et les deutérostomiens.

    En 2007, D. Arendt et ses collègues avaient mis en évidence des topologies moléculaires similaires entre le système nerveux du tronc de Platynereis et le tube neural en développement des vertébrés, rappelle Guillaume Balavoine, responsable du Laboratoire Évolution et développement des métazoaires de l'Institut Jacques Monod (CNRS, Université Paris Diderot). De même, en 2004, l'équipe de Heidelberg a caractérisé chez Platynereis un type de photorécepteur visuel dont l'empreinte moléculaire le rattache aux photorécepteurs de la rétine des vertébrés, suggérant que l'œil des vertébrés a évolué à partir d'une structure photosensible différenciée chez Urbilateria. En fait, aucun autre groupe d'invertébrés ne semble présenter autant d'expressions géniques homologues avec les vertébrés que les annélides.

    Tous ces arguments font penser qu'Urbilateria, il y a 600 à 550 millions d'années, ressemblait à une sorte de ver marin doté d'un ou plusieurs noyaux de neurones capables d'intégrer les signaux sensoriels de l'environnement. Ce plan neuronal de base aurait évolué en architectures nerveuses plus complexes dans certains groupes de bilatériens et atteint un maximum de complexité chez les mammifères.

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    EMBL/D. Arendt
    EMBL/D. Arendt

    Le ver annélide Platynereis dumerilii.

    À voir aussi

    ©2010 Elsevier Inc.
    ©2010 Elsevier Inc.

    Modèle tridimensionnel du système nerveux central d'une larve de Playnereis âgée de cinq jours (à gauche, l'avant de la tête). Les corps pédonculés (en rouge et rose) sont des structures nerveuses capables d'intégrer des informations sensorielles, notamment de nature chimique chez les annélides, et qui seraient aussi impliquées dans l'apprentissage et la mémorisation.

    ©2010 Elsevier Inc.
    ©2010 Elsevier Inc.

    Marquage de l'expression d'un gène codant le facteur de transcription ARX, qui régule l'activité de gène impliqués dans le développement du système nerveux chez la larve de Platynereis. Les corps pédonculés sont entourés de pointillés (à gauche, l'avant de la tête). Barre d'échelle : 50 micromètres.

    Pour en savoir plus

    L'auteur

    Jean-Jacques Perrier est journaliste à Pour la Science.

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    Me, Myself and My Stranger: Understanding the Neuroscience of Selfhood

    New case studies focus on rare illusory body perceptions that could answer questions about how we maintain a "self"

    By Ferris Jabr   

    SELF REFLECTION: Bodily illusions teach neuroscientists about the sense of self.
    CRIMFANTS, FLICKR.COM

    Where are you right now? Maybe you are at home, the office or a coffee shop—but such responses provide only a partial answer to the question at hand. Asked another way, what is the location of your "self" as you read this sentence? Like most people, you probably have a strong sense that your conscious self is housed within your physical body, regardless of your surroundings.

    But sometimes this spatial self-location goes awry. During a so-called out-of-body experience, for example, one's self seems to be transported outside the physical body into a surreal perspective—some people even believe they are viewing their bodies from above, as though their true selves were floating. In a related experience, people with a delusion known as somatoparaphrenia disown one of their limbs or confuse another person's limb for their own. Such warped perceptions help researchers understand theneuroscience of selfhood.

    new paper offers examples of rare bodily illusions that are not confined to a single limb, nor are they complete out-of-body experiences—they are somewhere in between. These illusory body perceptions, described in the September issue of Consciousness and Cognition, could offer novel clues about how the brain maintains a link between the physical and conscious selves, or what the researchers call "bodily self-consciousness."

    "These reports could be interesting for us to better understand how the brain produces ownership of the entire body—a sense that we have a body in the first place," says Henrik Ehrsson, a neuroscientist at the Karolinska Institute in Sweden who was not involved in the new study.

    Lukas Heydrich, a cognitive neuroscientist at the Brain–Mind Institute (B.M.I.) in Lausanne, Switzerland, and his colleagues recruited two epileptic patients from the University Hospital of Geneva. The researchers gave the patients a full diagnostic workup, including neurological and psychiatric examinations, various brain scans using electroencephalography (EEG) and magnetic resonance imaging (MRI), along with structured interviews focusing on aspects of bodily self-consciousness.

    Patient 1 was a 55-year-old man who had suffered from epilepsy since he was 14 years old. For nine years the man also endured reoccurring attacks of strange bodily sensations that always followed the same pattern. First, without warning, he would feel an increasing pressure all along his left side, which escalated to the point that he was convinced a stranger had invaded the left region of his body. He would suddenly feel that the left half of his body no longer belonged to him—that the left half of his head, the upper part of his left trunk, and his left arm and leg were divided from the rest of his body. During an episode, the man believed himself to exist only in the right side of his body, although he remained calm and continued to function normally. Most people around him never noticed anything unusual, even if he was giving a lecture.

    Patient 2 was a 30-year-old man suffering from epilepsy that resisted medication. Since age 11 the man experienced seizures characterized by an overwhelming sense of numbness in his legs, chest and neck. The numbness consistently became so intense that he lost awareness of everything below his chin, felt his head was detached from the rest of his body and experienced himself as simultaneously an observer of his body and the subject of observation.

    "Clinical observations of disorders like these are very rare," says Olaf Blanke, a neurologist and cognitive neuroscientist at the Brain-Mind Institute (B.M.I.) and a co-author of the paper. "It's difficult even for a novelist or a fiction writer to come up with this."

    Heydrich says that these patients provide new clinical evidence for the idea that bodily self-consciousness has three major components: self-location (where in physical space we experience ourselves to be located); first-person perspective (our primary viewpoint of the outside world from a place within the body); and self-identification (the degree to which we feel our bodies are part of us).

    An out-of-body experience, Heydrich explains, warps all three aspects of bodily self-consciousness. In contrast, the two patients in the new study maintained normal self-location and first-person perspective even during an illusion. "They still perceived the world from their normal perspective, and they still felt they were in their bodies. But they had strong problem of self-identification. Patient 1 felt that…[the left]…half of him was a stranger and Patient 2 felt that everything below his chin was no longer his."

    Individuals who have trouble with only one aspect of bodily self-consciousness suggest that the three aspects can be dissociated, offering researchers an opportunity to determine which brain regions or networks underlie which components of self-perception.

    An MRI revealed that patient 1 had a brain lesion in the right posterior intraparietal sulcus. In Patient 2's brain, the researchers identified a concentration of aberrant electrical activity (the epileptogenic focus) in the right supplementary motor area (SMA) and right superior frontal gyrus. Surgery that removed Patient 2's SMA and parts of his superior frontal gyrus cured the seizures and strange bodily perceptions, according to a checkup 15 months later. Heydrich says this implicates the SMA and premotor cortex specifically in the self-identification component of bodily self-consciousness.

    "What we found is that the damage in these patients is different than what we find in other illusions, like full-body illusions," Blanke says. "We found damage in high-level motor cortex areas and in the intraparietal sulcus region—both are very multisensory regions," possibly explaining why they are implicated in the sense of self, which integrates many different bodily inputs.

    Peter Brugger, a neuropsychologist at University Hospital in Zurich, is cautious about linking specific brain regions to particular kinds of self-perception. "If you operate in a certain region and observe a subsequent change in the behavior, you are very much seduced to think that the behavior resides in this location," Brugger says. "But because the brain primarily consists of connections, you have to think about whether you disrupted some kind of communication or cut faulty connections, not just a region."

    Brugger agrees, however, that researchers need to pursue similar studies to better understand bodily self-consciousness. "We can learn and should learn much more from disturbances of bodily perceptions," he says.

    http://www.scientificamerican.com/article.cfm?id=neuroscience-of-selfhood

     


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  • L'héroïsme guerrier, représenté ici dans La mémoire de nos pères de Clint Eastwood, serait dû en partie à l'ocytocine. Cette hormone renforce l'agressivité d'un groupe lorsqu'il se sent menacé. © COLLECTION CHRISTOPHE L
    L'ocytocine, hormone qui intervient dans l'attachement de la mère à son enfant, favoriserait aussi l'altruisme de clan.

    D'où vient le dévouement d'un soldat à sa patrie, le sacrifice d'un terroriste pour son groupe ? Ces comportements extrêmes, observés dans toutes les sociétés humaines, relèvent de "l'altruisme de clan" : lorsque l'individu sent que son groupe est menacé par un autre, il le défend au risque de perdre la vie. Une hormone, l'ocytocine, pourrait expliquer en partie cette attitude. C'est du moins ce que suggère une étude menée par des psychologues néerlandais [1].
    L'équipe de Carsten de Dreu, de l'université d'Amsterdam, a testé l'influence de l'ocytocine sur des groupes d'hommes. La molécule, sécrétée dans le cerveau au niveau de l'hypothalamus, est surtout connue pour son rôle dans l'accouchement, la lactation et l'attachement de la mère à l'enfant. Mais des études récentes ont montré qu'elle était aussi impliquée dans la coopération et l'empathie. Pour savoir si elle intervient dans l'altruisme de clan, les psychologues ont fait inhaler à 49 hommes de l'ocytocine ou une substance placebo. Puis ils les ont associés par équipe de trois et leur ont fait passer le test du "dilemme du prisonnier".

    Coopérer ou non. Dans ce jeu qui fait s'affronter deux équipes, chaque individu reçoit 10 euros qu'il peut garder ou distribuer selon des règles précises. L'une de ces règles permet d'augmenter les bénéfices de son équipe en faisant perdre la même somme d'argent à l'autre équipe. Comme on pouvait s'y attendre, les sujets qui avaient pris de l'ocytocine ont été plus altruistes : ils ont distribué deux fois plus d'argent aux membres de leur groupe que ceux qui avaient reçu le placebo. Mais ils n'ont pas essayé plus que les autres de faire perdre de l'argent à l'équipe adverse : dans des conditions d'affrontement normales, l'ocytocine n'entraîne pas d'altruisme de clan.
    Que se passe-t-il maintenant, si chaque équipe se sent réellement menacée par l'autre ? Pour le savoir, les psychologues ont fait passer à 75 sujets une version plus complexe du test. Cette fois, un membre de la première équipe devait décider de coopérer ou non avec un membre de la seconde équipe, et vice versa. S'ils coopéraient tous les deux, ils recevaient pour leur équipe une récompense plus importante que la punition infligée dans le cas où aucun des deux ne coopérait. En revanche, si l'un deux ne coopérait pas alors que l'autre coopérait, il recevait pour son équipe une prime et faisait perdre de l'argent à l'autre groupe. Au fil des essais, les psychologues ont fait varier les sommes afin d'augmenter la crainte ou l'avidité des individus. Résultat : les sujets ayant inhalé de l'ocytocine ont plus souvent choisi de ne pas coopérer, et ce d'autant plus que le risque de faire perdre de l'argent à leur équipe était grand.

    Confiance. "Cette étude confirme que l'ocytocine promeut l'altruisme, puisqu'elle renforce la confiance entre les individus au sein d'un groupe, analyse Angela Sirigu, de l'institut de neurosciences cognitives de Lyon. Cependant, lorsque le groupe est menacé, elle induit une agressivité de défense, ce qui est plus étonnant. Reste à savoir si l'ocytocine est la cause de ce comportement ou si elle est simplement l'une des molécules intervenant dans le mécanisme."

    Jacques Abadie

    [1] C.K.W. De Dreu et al., Science, 328, 1408, 2010.

    Sur ce thème, La Recherche a publié :
    N°440 - avril 2010
    Une hormone fait sortir des autistes de l'isolement
    N°405 - février 2007
    Guy Moriette : "Les neurones protégés pendant l'accouchement"

    http://www.larecherche.fr/content/actualite-sapiens/article?id=28312


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  • Pour la première fois, un homme atteint d'une maladie de l'hémoglobine, la bêta-thalassémie, a été traité avec efficacité par thérapie génique. Mais des incertitudes demeurent.

    Jean-Jacques Perrier

    Un homme atteint de bêta-thalassémie a été traité avec succès par thérapie génique grâce à la collaboration de plusieurs équipes, dont celle de Philippe Leboulch, responsable scientifique de l'essai clinique et chef de l'Institut des maladies émergentes et des thérapies innovantes (iMETI, CEA, INSERM, Université Paris-Sud), à Fontenay-aux-Roses, et celle de Marina Cavazzana-Calvo et Salima Hacein-Bey-Abina, du département de biothérapies de l'Hôpital Necker-Enfants malades (INSERM, AP-HP), à Paris. Cependant, l'insertion du vecteur porteur du gène thérapeutique a modifié, sans dommage apparent, l'expression d'un gène contrôlant la multiplication des cellules ; cela suggère que la sécurité de l'intervention n'est pas complètement assurée.

    La bêta-thalassémie est une maladie génétique apparaissant dans l'enfance. Elle est due à la mutation du gène codant la chaîne bêta de l'hémoglobine, la protéine des globules rouges du sang qui transporte l'oxygène dans l'organisme (la molécule comprend deux chaînes de type alpha et deux de type bêta). C'est l'une des maladies génétiques et héréditaires les plus fréquentes parmi les populations méditerranéennes et asiatiques ; dans certains pays, jusqu'à six pour cent des nouveau-nés sont atteints. En France, on compterait au total 350 à 400 malades.

    Lorsque la production d'hémoglobine normale est quasi nulle en raison de l'altération des deux exemplaires du gène bêta (la copie provenant du père et celle provenant de la mère), l'enfant atteint est fortement anémié (il ne produit presque plus de globules rouges fonctionnels), ressent une fatigue chronique, est plus sensible aux infections, grandit plus lentement et les os de son visage peuvent se déformer.

    On prévient ces dommages en transfusant le malade une fois par mois à l'hôpital. Cependant, ce traitement entraîne une accumulation de fer dans l'organisme (l'hémoglobine transfusée apporte du fer). Avec le temps, cet élément métallique provoque des atteintes cardiaques et hépatiques ainsi que des perturbations hormonales. Un fixateur de fer (chélateur) doit être administré pour prévenir ces complications, mais il a des effets indésirables. Une solution plus définitive est la greffe allogénique de cellules souches de moelle osseuse ; mais elle n'est pas non plus idéale, car le greffon, prélevé chez un donneur, peut être rejeté par le système immunitaire du patient, ou inversement réagir contre l'organisme.

    La thérapie génique peut représenter une alternative. Ph. Leboulch et ses collègues ont d'abord montré, chez la souris, que des cellules souches de la moelle osseuse, dites hématopoïétiques, prélevées sur l'animal lui-même puis transformées génétiquement in vitro et réinjectées (greffe autologue), assurent une production suffisante d'hémoglobine. Le vecteur de gène correcteur utilisé dérive d'un lentivirus, le VIH, et porte le gène codant la chaîne bêta de la globine. Cette construction est a priori plus sûre que les vecteurs rétroviraux précédents, dont l'utilisation pour traiter des enfants atteints de déficits immunitaires rares (SCID, ou DICS) avait provoqué quatre cas de leucémie par suite de l'activation, par des séquences propres à ces vecteurs, de gènes impliqués dans le développement cancéreux, des oncogènes.

    En 2007, un essai clinique de phase I/II a commencé sur un jeune homme de 18 ans atteint d'une forme grave de bêta-thalassémie. Des cellules de sa moelle osseuse ont été prélevées dans le service d'hématologie dirigé par Eliane Gluckman à l'Hôpital Saint-Louis, à Paris, puis traitées ex vivo au Département de biothérapies de l'Hôpital Necker par un vecteur lentiviral dérivé du VIH, porteur du gène correcteur (ce vecteur est produit aux États-Unis). Une forte chimiothérapie a détruit la plupart des cellules souches hématopoïétiques demeurant dans la moelle osseuse. Puis on a injecté au patient les cellules souches génétiquement modifiées.

    Quelque 30 mois plus tard, plus de 10 pour cent des cellules souches de la moelle contenaient le gène correcteur, dont trois pour cent des érythroblastes, la lignée cellulaire donnant naissance aux globules rouges. La concentration globale d'hémoglobine avait atteint neuf grammes par décilitre, la valeur que permettent d'obtenir les transfusions. Le patient n'a plus besoin de traitement.

    Toutefois, le séquençage de l'ADN montre que, dans la moitié des cellules modifiées, le vecteur viral s'est inséré dans le gène qui code la protéine HMGA2, connue pour participer à la régulation de la prolifération et de la différenciation cellulaires. Seize mois après la greffe, l'expression de ce gène, normalement nulle, avait augmenté de 10 000 fois. Cette insertion a sans doute favorisé l'efficacité de la thérapie en augmentant la multiplication des érythroblastes, remarque Salima Hacein-Bey-Abina.

    Toutefois, elle pourrait avoir un revers : dans plusieurs types de tumeurs cancéreuses, la protéine HMGA2 est en quantité anormalement élevée. La surproduction observée chez le patient traité risque-t-elle alors de provoquer une leucémie ? Le clone de cellules porteuses de l'insertion est resté stable depuis un an, ce qui est plutôt rassurant, commente S. Hacein-Bey-Abina. Les chercheurs notent en outre qu'une anomalie du même type existe dans l'hémoglobinurie nocturne paroxystique, une pathologie qui n'est pas associée à un risque de leucémie secondaire. De plus, des enfants traités pour un déficit immunitaire et dont des cellules souches hématopoïétiques portaient une insertion dans le gène HMGA2 sont eux aussi indemnes de leucémie plusieurs années après l'intervention.

    Reste qu'il est pour l'heure impossible d'établir un pronostic sur le long terme. L'essai clinique devrait se poursuivre chez trois autres malades en 2011, à l'Hôpital Necker. Compte tenu du risque d'intégration malencontreuse du vecteur, il faudra traiter des dizaines de patients pour que l'on puisse évaluer précisément le rapport bénéfices/risques de cette intervention thérapeutique.

    CDC, Janice Carr
    CDC, Janice Carr

    Des globules rouges.

    À voir aussi

    D'après D.A. Persons, <i>Nature</i> ©2010 Macmillan Publishers Ltd
    D'après D.A. Persons, Nature ©2010 Macmillan Publishers Ltd

    La procédure utilisée pour l'essai clinique de thérapie génique de la bêta-thalassémie.

    Pour en savoir plus

    M. Cavazzana-Calvo et al., Transfusion independence and HMGA2 activation after gene therapy of human β-thalassaemia, Nature, vol. 467, pp. 318-322, 2010.

    D. A. Persons, Targeting β-thalassaemia, Nature, vol. 467, pp. 277-278, 2010.

    Orphanet

    L'auteur

    Jean-Jacques Perrier est journaliste à Pour la Science.


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