• La découverte de nombreux fossiles, parfaitement conservés, d'un spécimen rarissime – Nectocaris pteryx – permet d'actualiser la date d'apparition des premiers céphalopodes sur Terre.

    Émilie Auvrouin

    Les schistes de Burgess, un gisement de fossiles situé dans le Parc national de Yoho, sur les hauteurs des montagnes rocheuses, au Canada, continuent de nous livrer des témoignages sur l'explosion de la diversité des espèces marines au Cambrien, il y a plus de 500 millions d'années. Martin Smith et Jean-Bernard Caron, du Département d'écologie et de biologie évolutionniste de l'Université de Toronto viennent d'y mettre au jour plusieurs fossiles d'une espèce dont on n'avait trouvé jusqu'à présent qu'un unique représentant, Nectocaris pteryx. Cette espèce serait l'ancêtre des céphalopodes actuels, dont font parties notamment la pieuvre, le calmar et la seiche.

    Nectocaris pteryx a été décrit pour la première fois en 1976 par le paléontologue britannique Simon Conway-Morris. Faute d'indices suffisants, il eut beaucoup de difficultés à classer ce spécimen, auquel on prêta plusieurs représentations. La présence d'une partie rigide à la base de la tête, ainsi que des segments (les métamères) le long du corps rappelaient la morphologie d'un arthropode. Ainsi, on pensait avoir trouvé l'ancêtre des crabes et des crevettes. Mais il s'avère que chez Nectocaris pteryx, les segments sont disjoints, ce qui n'est pas le cas chez les arthropodes. Pour d'autres, cette espèce était apparentée aux chordés, le groupe qui réunit les animaux avec une corne dorsale (chez les vertébrés, sous-embranchement des chordés, il s'agit de la colonne vertébrale). Mais faute de preuves, aucun d'entre eux n'était sur la bonne piste.

    Récemment, ce ne sont pas moins de 91 spécimens de Nectocaris pteryx fossilisés qui ont été mis au jour sur le site de Burgess. Une découverte qui a ravivé la controverse sur ses origines. Ces fossiles, en très bon état, laissent apparaître l'animal sous plusieurs angles, révélant des parties anatomiques qui étaient jusqu'alors inaccessibles.

    Nectocaris pteryx mesure entre deux et cinq centimètres de long. Son corps est mou, aplati vu de dessus, et ses deux nageoires dorso-latérales lui donnent la forme d'un cerf-volant. Sa petite tête est surmontée de deux yeux en forme de tige et de deux longs tentacules, qui lui servaient probablement à chasser. De la base de sa tête part une sorte de « cheminée » flexible qui s'ouvre sur une cavité interne contenant une paire de branchies. Cet appendice a pendant longtemps entretenu la confusion sur l'origine du Nectocaris, puisque celui du premier fossile découvert ressemblait plus à une carapace de protection, semblable à celle observée chez les crustacés. Cette « cheminée » rappelle étrangement le siphon des céphalopodes actuels, un organe tubulaire qui leur sert à nager à reculons. Le Nectocaris s'en serait aussi servi pour se propulser dans l'eau.

    M. Smith et J-B. Caron supposent que ces animaux ont dû être piégés lors d'un écoulement de boue, comme en témoignent les sédiments déposés dans leurs branchies.

    Tous ces nouveaux éléments anatomiques concordent avec l'hypothèse que Nectocaris pteryx est l'ancêtre des céphalopodes, c'est-à-dire des pieuvres et des calmars. Cette découverte repousse de 30 millions d'années l'apparition des céphalopodes dans nos océans, il y a environ 500 millions d'années.

    Il reste cependant des zones d'ombre. On ne sait toujours pas si Nectocaris pteryx possédait aussi une radula, une langue munie de dents chitineuses formant une râpe, et un bec, comme la plupart des céphalopodes actuels. Les prochaines trouvailles à Burgess permettront peut-être de le confirmer.

    L’ancêtre des  pieuvres
    © Marianne Collins

    Vue d'artiste de l'ancêtre présumé des céphalopodes, Nectocaris pteryx.

    L'auteur

    Émilie Auvrouin est journaliste à Pour la Science.

    Pour en savoir plus

    Martin Smith et Jean-Bernard Caron, Primitive soft-bodied cephalopods from the Cambrian, Nature, Vol. 465, pp. 469-472, 2010.

    à voir aussi

    © M. Smith et J-B. Caron/Nature
    Fossile de Nectocaris pteryx, vu de dessus. On distingue notamment ses deux tentacules et ses deux yeux.
    © M. Smith et J-B. Caron/Nature
    Fossiles de Nectocaris pteryx. Le spécimen noté (f) est particulièrement intéressant puisqu'il offre une vue latérale de l'animal. On y distingue l'appendice au niveau de la tête (noté fun), apparenté au siphon des céphalopodes actuels, siphon qui leur permet de se propulser dans l'eau. Barre d'échelle : 5 millimètres.

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  • Pour inciter les femelles à rester sur leur territoire et augmenter les chances de s'accoupler avec elles, les antilopes Topi mâles émettent de faux signaux d'alerte.

    Loïc Mangin

    Dans le monde animal, plusieurs cas de supercherie sont connus. Certains oiseaux feignent par exemple d'être blessés pour éloigner un prédateur de leur nid, d'autres émettent un signal d'alarme pour éloigner leurs congénères d'une source de nourriture. Dans ces cas, les motivations des manipulateurs et des manipulés sont opposées. En revanche, lorsqu'il s'agit de communication entre individus ayant un même objectif, notamment se reproduire, les exemples de supercherie sont plus rares. Jakob Bro-Jørgensen, de l'Université de Liverpool, et Wiline Pangle, de l'Université d'État de l'Ohio, à Colombus, aux États-Unis, en ont identifié un chez l'antilope Topi(Damaliscus lunatus).

    Entre 2005 et 2009, les biologistes ont observé ces antilopes dans la réserve nationale du Masai Mara, au Sud-Ouest du Kenya. À la saison des amours, lorsque les femelles sont en ovulation – une période de un à deux jours seulement –, elles parcourent les territoires de plusieurs mâles (quatre en moyenne) et s'accouplent une dizaine de fois. Comment, pour un mâle, prolonger la présence d'une femelle sur son territoire et ainsi augmenter ses chances d'avoir une descendance ? En trichant !

    Quand une antilope Topi repère un prédateur, elle émet, même quand elle est seule, une sorte de grognement proche d'un reniflement. Ce son, d'une part, alerte les congénères et, d'autre part, informe le prédateur (lion, guépard, léopard...) qu'il ne peut plus compter sur l'effet de surprise. Toutefois, en période de reproduction, quand un mâle voit une femelle sur le point de quitter son territoire, il peut aussi émettre ce signal, même en l'absence de menace. Sur ses gardes, la femelle s'arrête, offrant au prétendant un temps supplémentaire pour parvenir à ses fins.

     

    © J. Bro-Jørgensen

    À l'aide d'enregistrements, J. Bro-Jørgensen et W. Pangle ont montré que les femelles ne distinguent pas une fausse alarme d'un vrai signal de danger. Comme dans l'histoire du loup et du berger, les femelles ne risquent-elles pas un jour de ne plus prêter attention à ces faux signaux ? Sans doute pas, car le risque serait de finir au menu d'un fauve. Le coût de la prudence est nécessairement moindre, même s'il s'agit de céder aux avances d'un mâle un peu trop entreprenant.

    Les fourberies de l’antilope
    © J. Bro-Jørgensen

    Une antilope Topi juchée sur une termitière, au Kenya.

    À VOIR AUSSI

    © J. Bro-Jørgensen
    Malgré l’absence de danger, un mâle Topi (en haut, à l’arrière-plan) a émis un grognement d’alerte, et scrute l’horizon comme s’il avait détecté un prédateur. Une femelle (en haut, au premier plan) qui se dirigeait vers la prétendue menace s’arrête. Alors qu’elle fait demi-tour (au centre) et s’apprête à s’éloigner, le mâle détourne son attention vers elle (ses oreilles et son regard ont changé d’orientation). Peu après, le mâle parvient à ses fins et s’accouple avec la femelle abusée (en bas).

    L'AUTEUR

    Loïc Mangin est rédacteur en chef adjoint à Pour la Science.

    POUR EN SAVOIR PLUS

    J. Bro-Jørgensen et W. Pangle, Male Topi antelopes alarm snort deceptively to retain females for matingThe American Naturalist, vol.176, à paraître, juillet 2010.

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  • Zoologger: Judge Dredd worm traps prey with riot foam

    Species: Euperipatoides rowelli

    Habitat: New South Wales, Australia, loitering in gangs on rotting logs

    Among proponents of non-lethal weapons, one of the most widely discussed technologies is "sticky foam", pioneered by Judge Dredd as "riot foam" in the British comic 2000 AD. Fired from a high-powered gun, it rapidly solidifies on contact, immobilising the victims but – hopefully – not killing them.

    As ever, nature got there first. Strange creatures called velvet worms use a similar trick to entrap their prey, and while the immobilisation process might not be fatal, the subsequent process of being eaten most certainly is.

    Velvet worms are onychophorans and are truly ancient: they were around in the Cambrian period over 500 million years ago, and were among the first land animals to take up walking. Nowadays there are about 90 species left, and E. rowelli is one of the most remarkable.

    The worm that turned

    They're not your typical worms. For a start, they have legs – lots of them. The group is distantly related to nematode worms, but is probably closer to the arthropods, the group that includes insects and centipedes. In a bad light, velvet worms look like bulbous centipedes without exoskeletons, and their brains are similar to those of chelicerates, a subgroup of the arthropods that includes spiders and scorpions.

    What E. rowelli lacks in size – it is 1 to 3 centimetres long – it makes up for in naked aggression. The worms live in groups of around 15 individuals, nestled together in cavities in rotting logs. The groups are dominated by the females, which give birth to live young and are larger than the males. However, it is actually the males that start the groups, by releasing a pheromone which attracts females and other males to join them.

    Not only do they live in groups, they hunt in packs. Their usual victims are small insects like termites, but they sometimes go for animals much larger than themselves, such as grasshoppers.

    Once the prey is immobilised by sprays of slime, one of the worms finds a soft spot and injects the victim with saliva, which kills it and begins digesting its insides. While they wait for dinner to be ready, the worms eat the slime up again so as not to waste it.

    When it comes to the main course, there is a strict feeding hierarchy, with the dominant female feeding alone for the first hour. Then other females are allowed to chow down, and finally the males and juveniles.

    Slime time

    So how does the riot foam work? Victoria Haritos of the research institute CSIRO Entomology in Canberra, Australia, and colleagues decided to find out by studying its chemistry.

    Given that velvet worms are related to the arthropods, you might expect their slime to be similar to the silks produced by spiders and moths – but you would be wrong. Insects and spiders produce highly structured proteins, but the proteins in E. rowelli's slime are almost entirely unstructured and disordered.

    As far as we know, the mechanism is unique, and it works something like this. The slime is mostly water, and because the proteins are disordered they expose a great many electrically charged regions to the liquid, ensuring that they stay fully dissolved as long as the slime is held in the slime glands.

    But as soon as the slime is squirted – from limbs modified into sprayguns and mounted either side of the head – the water starts evaporating and the proteins start to come out of solution. This then triggers two mechanisms that trap the unfortunate prey.

    First, the insect's struggles pull some of the proteins out into threads that wrap around its body. At the same time, the loss of water causes the slime to transform into a hard, brittle solid: a glass.

    Readers who remember the resinous cocoons used to trap luckless humans in the movie Aliens may find this oddly familiar.

    Journal reference: Proceedings of the Royal Society B, DOI: 10.1098/rspb.2010.0604

    Read previous Zoologger columns: Flashmobbing locusts have redesigned brains , Smart camo lets glow-in-the-dark shark hide, Attack of the self-sacrificing child clones, The most kick-ass fish in the sea, The most bizarre life story on Earth?, Keep freeloaders happy with rotting corpses, Robin Hood meets his underwater matchMovie  Camera, The mud creature that lives without oxygen, Magneto-bat steers by a built-in compass.

    Image: O. Louis Mazzatenta/National Geographic/Getty

    http://www.newscientist.com/article/dn18987-zoologger-judge-dredd-worm-traps-prey-with-riot-foam.html


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  • C'est une scène de guerre entre les religions antiques que les archéologues de l'INRAP viennent de découvrir à Angers : un temple mithraïque probablement saccagé par des chrétiens.

    François Savatier

    Anno 393 à Andecavorum. Un groupe d'hommes s'approche d'un petit bâtiment excavé proche d'une domus. Le meneur ouvre d'un coup de pied une porte de bois donnant sur un local en sous sol. Poussant de grands cris, ses hommes y pénètrent et saccagent le mobilier à coups de pioches. Ils s'acharnent sur un bas relief montrant un personnage à bonnet phrygien égorgeant un taureau.

    Les traces de cette scène ont été retrouvées à Angers, où l'un des rares temples des Gaules consacrés au culte du dieu indo-iranien Mithra vient d'être découvert. Culte mystérieux réservé aux hommes, presque sectaire, le culte mithraïque s'est surtout répandu dans l'Empire romain par l'intermédiaire des militaires et des marchands. Il est remarquable de trouver un mithræum à Angers – une première –, car cela suggère que de riches membres de l'élite pratiquant le mithraïsme (marchands ou fonctionnaires) ont introduit ce culte dans l'Ouest des Gaules.

    Le culte mithraïque s'exerçait initialement dans des grottes naturelles (pour rappeler la grotte où Mithra tua le taureau, symbole du mal), ce qui explique que l'on construisait des temples petits, exigus et sans fenêtres, de façon à imiter une grotte. Le mithræum d'Angers ne fait pas exception : il consistait en une petite salle rectangulaire enfoncée dans le sol, où l'on pénétrait après avoir revêtu les habits rituels dans une antichambre. Au fond, au-dessus d'un podium, un bas-relief représentait sans doute l'histoire du dieu. Des restes de colonnes ou d'autels attestent de la présence probable d'autres éléments, tels des statues.

    Les archéologues ont retrouvé de nombreuses monnaies (environ 200), dont des deniers d'argent qui suggèrent le haut pouvoir d'achat des adeptes. Parmi les fragments de céramiques et autres lampes à huile complètes, ils ont trouvé les morceaux d'un rare lustre en terre cuite aux figures de Nubien, ainsi qu'une fibule (épingle) cruciforme en bronze caractéristique des fonctionnaires du IVe siècle. Nombre de restes attestent de libations durant lesquelles il était d'usage d'offrir au dieu du vin et de la chair de coq. Un exceptionnel vase à anse en forme de cervidé est doté d'un museau verseur percé de trois trous. Servait-il à asperger les fidèles de quelque eau bénite mithraïque ?

    Si c'est le cas, ce ne serait pas le seul point commun entre christianisme et mithraïsme, puisque les deux religions sont monothéistes. Un autre point commun est la pratique des ex-voto. L'un de ceux qu'ont retrouvés les archéologues dans le mithræum d'Anger mentionne une offrande faite par un certain Genialis dans la première moitié du IIIe siècle ; il commence ainsi : « Au dieu invaincu Mithra,… ». Divin, Mithra ne peut en effet être vaincu. Mais son culte l'a clairement été par l'intolérance chrétienne après qu'en 392 l'empereur Théodose a, par décret, interdit les cultes païens au sein de l'Empire. Et il l'a été au point d'en être oublié : la scène de guerre des religions retrouvée à Anger en est l'illustration même…

    Un temple de Mithra découvert à Angers
    Hervé Paitier/Inrap

    Produit à Lezoux et retrouvé dans le mithraeum d'Angers, ce vase porte une dédicace au dieu Mithra.

    à voir aussi

    Hervé Paitier/Inrap
    Cette tête de statue du dieu Mithra a été fracassée avec acharnement par les profanateurs (probablement chrétiens) du temple, pour faire disparaître irréversiblement l'image du dieu.

    L'auteur

    François Savatier est membre de la rédaction de Pour la Science.

    Pour en savoir plus


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