Anno 393 à Andecavorum. Un groupe d'hommes s'approche d'un petit bâtiment excavé proche d'une domus. Le meneur ouvre d'un coup de pied une porte de bois donnant sur un local en sous sol. Poussant de grands cris, ses hommes y pénètrent et saccagent le mobilier à coups de pioches. Ils s'acharnent sur un bas relief montrant un personnage à bonnet phrygien égorgeant un taureau.
Les traces de cette scène ont été retrouvées à Angers, où l'un des rares temples des Gaules consacrés au culte du dieu indo-iranien Mithra vient d'être découvert. Culte mystérieux réservé aux hommes, presque sectaire, le culte mithraïque s'est surtout répandu dans l'Empire romain par l'intermédiaire des militaires et des marchands. Il est remarquable de trouver un mithræum à Angers – une première –, car cela suggère que de riches membres de l'élite pratiquant le mithraïsme (marchands ou fonctionnaires) ont introduit ce culte dans l'Ouest des Gaules.
Le culte mithraïque s'exerçait initialement dans des grottes naturelles (pour rappeler la grotte où Mithra tua le taureau, symbole du mal), ce qui explique que l'on construisait des temples petits, exigus et sans fenêtres, de façon à imiter une grotte. Le mithræum d'Angers ne fait pas exception : il consistait en une petite salle rectangulaire enfoncée dans le sol, où l'on pénétrait après avoir revêtu les habits rituels dans une antichambre. Au fond, au-dessus d'un podium, un bas-relief représentait sans doute l'histoire du dieu. Des restes de colonnes ou d'autels attestent de la présence probable d'autres éléments, tels des statues.
Les archéologues ont retrouvé de nombreuses monnaies (environ 200), dont des deniers d'argent qui suggèrent le haut pouvoir d'achat des adeptes. Parmi les fragments de céramiques et autres lampes à huile complètes, ils ont trouvé les morceaux d'un rare lustre en terre cuite aux figures de Nubien, ainsi qu'une fibule (épingle) cruciforme en bronze caractéristique des fonctionnaires du IVe siècle. Nombre de restes attestent de libations durant lesquelles il était d'usage d'offrir au dieu du vin et de la chair de coq. Un exceptionnel vase à anse en forme de cervidé est doté d'un museau verseur percé de trois trous. Servait-il à asperger les fidèles de quelque eau bénite mithraïque ?
Si c'est le cas, ce ne serait pas le seul point commun entre christianisme et mithraïsme, puisque les deux religions sont monothéistes. Un autre point commun est la pratique des ex-voto. L'un de ceux qu'ont retrouvés les archéologues dans le mithræum d'Anger mentionne une offrande faite par un certain Genialis dans la première moitié du IIIe siècle ; il commence ainsi : « Au dieu invaincu Mithra,… ». Divin, Mithra ne peut en effet être vaincu. Mais son culte l'a clairement été par l'intolérance chrétienne après qu'en 392 l'empereur Théodose a, par décret, interdit les cultes païens au sein de l'Empire. Et il l'a été au point d'en être oublié : la scène de guerre des religions retrouvée à Anger en est l'illustration même…