• De la pensée à la parole, quel est le trajet des mots dans notre cerveau ? En détaillant ce processus, une équipe américaine remet en perspective le rôle attribué à l’aire de Broca.

    Lorsque nous parlons, trois grandes fonctions cognitives sont mobilisées : la mémoire des mots et des représentations mentales qui leur sont associées, la connaissance de la grammaire, enfin la capacité à produire des sons de manière organisée. Depuis la seconde moitié du XIXe siècle, on pense que ces opérations sont traitées principalement par l’aire de Broca, dans le cortex frontal, et dans une moindre mesure par l’aire de Wernicke, située plus en arrière et spécialisée dans la compréhension des mots. Mais comment se déroule le processus ? C’est ce que viennent de préciser Ned Sahin, de l’université de Californie à San Diego, et ses collègues [1].

    Afin d’obtenir une haute résolution spatiale et temporelle, ils ont utilisé la technique de l’électrophysiologie chez trois patients atteints d’épilepsie. Lors d’une opération chirurgicale destinée à identifier la zone responsable des crises, ils ont placé des électrodes dans l’aire de Broca pour y enregistrer l’activité électrique des neurones.

    Produire un mot. Restait à isoler chacune des trois opérations aboutissant à la production du langage. Pour cela, les neurologues ont placé les patients devant un écran sur lequel apparaissait un verbe ou un nom. Ils leur ont demandé tout d’abord de répéter ce mot en silence, puis de l’accorder ou de le conjuguer dans une phrase donnée. Ils ont ainsi distingué la phase lexicale de la phase grammaticale. Ensuite, pour la phonologie, deux cas de figure se présentaient : le mot décliné se prononçait comme dans sa forme initiale - par exemple le verbe walk dans la phrase Every day they walk -, ou sa prononciation était différente - comme dans Yesterday they walked. Dans ce second cas, l’organisation des phonèmes demandait un effort supplémentaire au cerveau, ce qui permettait de faire ressortir l’aspect phonologique du processus.

    Quelle a été l’activité dans l’aire de Broca pendant ces tâches ? L’enregistrement révèle la présence de trois pics d’intensité de l’influx nerveux à 200, 320 et 450 millisecondes après l’apparition du mot sur l’écran. Le premier pic correspond à la phase lexicale. Il survient en effet au moment où l’aire de Broca se synchronise avec la zone cérébrale dédiée à la reconnaissance visuelle des mots, située dans le cortex temporal inférieur.

    Le second pic correspond à l’étape grammaticale : il est plus important lorsque le patient accorde le nom ou conjugue le verbe. Enfin, le dernier pic représente l’étape phonologique : son amplitude est plus grande quand le mot décliné a une prononciation différente de sa forme initiale. Par ailleurs, ces trois pics d’activité surviennent dans des zones distinctes de l’aire Broca, distantes de quelques millimètres.

    Traitement cérébral. « C’est la première fois que l’on décrit aussi finement le traitement cérébral du langage, explique Fr

    anck-Emmanuel Roux, neurochirurgien à l’hôpital Purpan de Toulouse. Les résultats montrent que c’est un processus très parcellisé, dont les étapes sont clairement séparées dans le temps et l’espace. » L’étude précise aussi la fonction de l’aire de Broca. « Son rôle est plus large qu’on le pensait : elle prend également en charge certains aspects lexicaux attribués auparavant à l’aire de Wernicke. »

    Jacques Abadie

    http://www.larecherche.fr/content/actualite-sapiens/article?id=26850

    [1] Ned T. Sahin et al., Science, 326, 445, 2009.


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  • Nous faisons bien plus que de voir avec les yeux et d'entendre avec les oreilles. Le sens du toucher permet aussi de mieux comprendre la parole.

    Jean-Jacques Perrier

    Mettez votre main devant la bouche. Dites « pa ». Avez-vous senti cette petite bouffée d'air ? Maintenant, prononcez « ba ». La bouffée d'air est moins perceptible, surtout si vous êtes anglophone. Bryan Gick et Donald Derrick, de l'Université de Colombie britannique, à Vancouver, ont voulu savoir si la sensation tactile de l'air émis lorsque nous parlons a une influence sur la compréhension de ce qui est dit.

    À l'aide d'un compresseur et de valves, ils ont produit de petites bouffées inaudibles vers deux endroits de la peau (cou et face dorsale de la main) de 66 volontaires non entraînés, tout en leur faisant écouter des répétitions de deux sons, soit « pa », et « ba », soit « ta » et « da ». Résultat : s'ils écoutaient le son « ba » alors qu'ils ressentaient une bouffée d'air, les sujets entendaient plus souvent le son « pa » que le véritable son ; de même, un « da » était perçu plus fréquemment comme un « ta » en présence d'un souffle d'air. Et celui-ci augmentait la perception des sons « pa » et « ta » en comparaison d'un groupe contrôle dont les membres ne recevaient aucune bouffée.

    Dès les années 1950, des recherches ont montré que la vision du mouvement des lèvres permet, sans entraînement spécifique, de mieux comprendre un interlocuteur, notamment dans un environnement bruyant ou lorsque la langue est étrangère, mais avec de fortes variations d'un individu à l'autre. En 1976, Harry McGurk et John MacDonald, à l'Université du Surrey, en Angleterre, ont montré qu'un anglophone regardant une séquence vidéo d'une personne prononçant « gaga » accompagnée du son « baba » identifie souvent un phonème intermédiaire, « dada » (effet McGurk). Cette expérience, reproduite depuis avec des locuteurs de différentes langues, a démontré que le cerveau humain gère des informations sensorielles différentes en les intégrant (ici, les informations étant conflictuelles, puisqu'elles n'indiquent pas le même son, elles « fusionnent » en produisant une perception intermédiaire).

    Les résultats de B. Gick et D. Derrick confirment que le cerveau intègre différentes informations sensorielles pour faire naître la perception. Ce qui est nouveau ici, c'est que le sens du toucher (la pression de l'air sur la peau) intervient aussi dans le traitement des sons. Les spécialistes parlent de parole multimodale ou multisensorielle. Ce résultat avait été pressenti dans les années 1920 par une enseignante américaine, Sophia Alcorn, qui avait développé une méthode d'apprentissage de la parole destinée aux enfants sourds et aveugles. Nommée Tadoma, cette méthode consistait à laisser l'enfant toucher les lèvres, la joue et le cou de son interlocuteur de façon à ce qu'il sente les mouvements déclenchés par la parole. Difficile à maîtriser, elle n'est plus guère utilisée aujourd'hui.

    http://www.pourlascience.fr/ewb_pages/a/actualite-le-toucher-de-la-parole-23922.php

    Le toucher de la parole
    PLS

    Les sensations tactiles permettent de mieux percevoir la parole.

    Pour en savoir plus

    B. Gick et D. Derrick, Aero-tactile integration in speech perception, Nature, vol. 462, sous presse.
     
     
    C.M. Reed, The implication of the Tadoma method of speechreading for spoken language processing, ICSLP 96 Proceedings, Fourth International Conference on Spoken Language, vol. 3, pp. 1489-1492, 1996. Version pdf.

    L'auteur

    Jean-Jacques Perrier est journaliste à Pour la Science.

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  • En mai dernier à New York, un fossile baptisé « Ida » était présenté en grande pompe comme un possible ancêtre commun aux grands singes et à l’homme. Une nouvelle étude réfute cette affirmation.

    Darwinius masillae, alias « Ida ». Âgé d’environ 47 millions d’années, ce fossile remarquablement bien conservé de jeune femelle primate aura fait couler beaucoup d’encre à travers le monde. Les paléontologues qui l’ont étudié l’ont en effet présenté en mai dernier, à grand renfort de publicité, comme un « chaînon manquant » dans le processus évolutif qui a conduit à l’homme. Une présentation complétée par une publication un peu plus réservée (1) . Mais la polémique a immédiatement fait rage sur cette interprétation (2). Une nouvelle étude menée par une équipe américaine enfonce le clou (3).

    Conduite par Erik R. Seiffert, de l’université Stony Brook à New York, cette dernière affirme en effet que Darwinius masillae n’est pas un ancêtre des anthropoïdes ; il ne s’inscrit donc pas dans la lignée ayant conduit à l’homme. « Selon leurs résultats, qui semblent faire consensus, Ida n’est qu’un “simple” représentant des adapiformes, explique Laurent Marivaux, de l’institut des sciences de l’évolution de Montpellier. Il s’agit d’un groupe de primates ayant vécu durant l’Éocène, il y a 55 à 34 millions d’années, et dont les représentants actuels sont les lémuriens et les loris. Remise sur le devant de la scène par la présentation d’Ida, l’hypothèse selon laquelle les anthropoïdes se seraient enracinés au sein des adapiformes est invalidée par cette étude. »

    Pour parvenir à cette conclusion, les paléontologues américains se sont fondés sur l’examen approfondi de la dentition et de l’os de mâchoire d’Afradapis longicristatus, autre adapiforme, vieux d’environ 37 millions d’années et découvert en Égypte. Ils ont ensuite examiné et comparé 360 caractères morphologiques chez 117 primates actuels et éteints, dont Ida et Afradapis longicristatus. Selon cette analyse phylogénétique poussée, les auteurs sont formels : les adapiformes ne font pas partie des ancêtres des anthropoïdes. Quant aux deux fossiles en question, ils se situeraient dans une branche n’ayant pas laissé de descendants connus.

    Certains caractères des adapiformes présentent toutefois des ressemblances avec ceux des anthropoïdes, notamment au niveau de la dentition « Ces caractères seraient nés indépendamment dans les deux groupes à la suite d’une même pression de l’environnement, peut-être une similitude de régime alimentaire. C’est ce qu’on appelle des convergences adaptatives, explique Laurent Marivaux. Quant à l’os astragale de la cheville d’Ida, son état et les analyses réalisées ne permettent pas de le rapprocher de celui d’anthropoïdes, contrairement à ce qu’en disent ses promoteurs. » Ces derniers maintiennent toutefois leur analyse selon laquelle ce fossile est plus proche des singes et des grands singes que des lémuriens.

    Jean-Philippe Braly

    http://www.larecherche.fr/content/actualite-vie/article?id=26851

    (1) J.L. Franzen et al., PLoS ONE, 4, e5723, 2009.

    (2) E.L. Simons et al., Nature, 460, 456, 2009.

    (3) E.R. Seiffert et al., Nature, 461, 1118, 2009

     


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  • Conçues sans spermatozoïdes, des souris vivent plus longtemps que des souris conçues naturellement. Est-ce un signe de l'impact néfaste du génome paternel ?

    Jean-Jacques Perrier

    Partout dans le monde, les femmes vivent en moyenne plus longtemps que les hommes (84 ans contre 74 ans en Europe occidentale). Pourquoi ? Cette différence de longévité étant observée dans d'autres espèces, la raison serait-elle – du moins en partie – de nature biologique ? Manabu Kawahara et Tomohiro Kono, de l'Université de Saga et de l'Université de Tokyo, ont étudié la question en examinant les influences respectives des génomes maternel et paternel.

    Les deux chercheurs ont mis au point une méthode qui a permis la naissance de 13 souris femelles n'ayant que du matériel génétique femelle, alors que normalement la moitié du génome provient du père. Pour y parvenir, ils ont débarrassé des ovocytes de femelles nouveau-nés de leur « empreinte paternelle », ensemble des modifications chimiques (dites épigénétiques) de l'ADN qui empêchent qu'un embryon soit produit sans fécondation (par parthénogenèse). Selon une technique mise au point en 2007, deux des zones chromosomiques impliquées dans l'empreinte paternelle ont été inactivées. Puis, pour obtenir un embryon doté de deux lots de chromosomes, ils ont fusionné un ovocyte ainsi modifié avec un ovocyte de femelle adulte dont ils avaient éliminé le noyau, puis transféré les chromosomes de cet ovocyte ainsi reconstitué (à un jeu de chromosomes) dans un autre ovocyte mature (comportant le second jeu de chromosomes nécessaire). L'embryon « bimaternel » obtenu a ensuite été implanté dans l'utérus d'une mère porteuse. Pour disposer de contrôles, 13 souris femelles normales ont été produites par fécondation naturelle. Elles étaient de la même souche et donc génétiquement très proches des souris bimaternelles.

    Les deux lots de souris, élevés dans les mêmes conditions, se ressemblaient parfaitement sauf en trois points : les souris bimaternelles ont vécu en moyenne 186 jours de plus que les contrôles, la durée de vie maximale étant de 1 045 jours au lieu de 996 jours ; leur poids moyen était inférieur ; enfin, leur concentration sanguine en certains globules blancs (les éosinophiles) a augmenté.

    Les théories expliquant les différences sexuelles de longévité ne manquent pas. L'une des plus cohérentes est hormonale : les estrogènes, hormones femelles, activeraient des gènes déterminant une activité anti-oxydante plus importante dans les cellules et ainsi, une moindre dégradation du métabolisme cellulaire. M. Kawahara et T. Kono proposent une autre explication : il existerait un lien entre la diminution du poids, la concentration sanguine d'éosinophiles et la longévité. Comme des différences génétiques ont peu de chances d'en être la cause, puisque les souris bimaternelles et contrôles sont génétiquement proches, la réduction de poids serait due aux modifications qui touchent des gènes impliqués dans la croissance.

    Les deux chercheurs pensent notamment que le gène Rasgrf1 (Ras protein-specific guanine nucleotide releasing factor 1), porté par le chromosome 9, joue un rôle particulier. Chez les mâles, il est associé à la croissance post-natale. Il est soumis à l'empreinte paternelle, c'est-à-dire que seule la copie du gène transmise par le spermatozoïde s'exprime ; la copie d'origine maternelle est « éteinte » par des modifications épigénétiques, si bien que le gène ne s'exprime pas du tout chez les souris bimaternelles. Le lien entre la croissance post-natale et la longévité n'est pas encore avéré même si les chercheurs constatent qu'une moindre croissance, due à une restriction calorique, a des effets positifs sur la longévité.

    Quant aux éosinophiles, ils témoignent d'une activation du système immunitaire chez les femelles bi-maternelles, ce qui entraînerait une meilleure résistance aux infections, qui peuvent toujours survenir, même si le milieu d'élevage est stérile.

    La cause de la longévité accrue résulte-t-elle alors du génome maternel supplémentaire? De l'absence du génome et de l'empreinte épigénétique paternels ? Difficile de trancher à ce stade. L'influence des chromosomes sexuels semble toutefois réelle. Ainsi, remarquent John Tower et Michelle Arbeitman, de l'Université de Californie du Sud, chez les espèces (homme et drosophiles, par exemple) où le mâle porte deux chromosomes sexuels différents (X et Y), les femelles (XX) vivent plus longtemps que les mâles. Mais c'est l'inverse chez les espèces, tels de nombreux oiseaux, où c'est la femelle qui est dotée de chromosomes différents (ZW) : le mâle (ZZ) atteint un âge plus avancé que la femelle. Pour ces deux chercheurs, il y aurait donc bien des causes génétiques et biologiques à la différence de longévité entre sexes.

     

    http://www.pourlascience.fr/ewb_pages/a/actualite-sans-pere-des-souris-vivent-plus-longtemps-23833.php

    Sans père, des souris vivent plus longtemps...
    © Tomohiro Kono

    Deux chercheurs japonais ont obtenu des souris femelles sans fécondation (à droite). Plus petites que les souris femelles normales, elles vivent aussi plus longtemps.

    à voir aussi

    © Tomohiro Kono/Nature
    Tomohiro Kono a défrayé la chronique en 2004 en créant une souris sans fécondation, par parthénogenèse, une première chez un mammifère. Cette souris, Kaguya, a elle-même donné naissance à des souriceaux.

    Pour en savoir plus

    M. Kawahara et T. Kono, Longevity in mice without a father, Human Reproduction, à paraître, 2009.
     
    J. Tower et M. Arbeitman, The genetics of gender and life span, Journal of Biology, vol. 8, p. 38, 2009.

    L'auteur

    Jean-Jacques Perrier est journaliste à Pour la Science.

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  • Des chercheurs ont identifié le mécanisme génétique nécessaire à l'adaptation de bactéries à un environnement changeant.

    Jean-Jacques Perrier

    Comment les espèces vivantes survivent-elles dans un environnement soumis à des fluctuations imprévisibles ? Hubertus Beaumont, de l'Université de Leyde, et l'équipe de Paul Rainey, à l'Université Massey d'Auckland, en Nouvelle-Zélande, ont montré que, chez les bactéries Pseudomonas fluorescens, une stratégie efficace apparaît en quelques générations grâce à une mutation génétique. Elle minimise les risques en créant deux états adaptatifs entre lesquels les bactéries alternent. C'est la stratégie de la répartition des risques (en anglais bet hedging, d'après l'expression to hedge one's bets, répartir les risques).

    En théorie, dès que des conditions défavorables apparaissent et ce de façon répétée, beaucoup d'espèces devraient disparaître : si certains individus acquièrent par le jeu de mutations génétiques aléatoires une capacité à résister à un premier changement, il est peu probable qu'ils aient cette chance une deuxième, voire une troisième fois si les changements sont rapprochés. L'une des seules possibilités d'adaptation à de telles fluctuations est la stratégie de répartition des risques. L'espèce répartit les risques en passant rapidement d'un état adaptatif à un autre, ou si certains de ses individus sont dotés de caractéristiques particulières. Par exemple, dans les déserts, les conditions de germination des plantes sont aléatoires : si la germination est suivie de pluies, la plante survit, mais si la germination est suivie d'une période de sécheresse, elle périt. Pour certaines plantes, la germination d'une partie des graines est reportée d'une ou plusieurs années, ce qui augmente les chances que certaines germinations se produisent dans des conditions favorables.

    Au sein d'un milieu de culture normal, des Pseudomonas évoluent naturellement par le jeu de mutations et de la sélection du milieu, en formant des colonies distinctes. H. Beaumont et ses collègues ont cultivé 12 colonies selon une suite de 16 étapes où une phase de croissance dans des boîtes de Petri était suivie d'une phase dans des flacons agités. Quand un nouveau type de bactéries apparaissait, cette fraction de la colonie était transférée dans le milieu suivant. Ces changements successifs favorisaient la sélection de nouvelles mutations aléatoires et l'évolution continue de la population bactérienne.

    Or les chercheurs ont observé l'apparition, lors de la neuvième étape, de deux colonies particulières, qui n'évoluaient plus mais passaient de façon réversible d'une forme translucide à une forme opaque, toutes deux génétiquement identiques. La forme translucide, mieux adaptée au milieu statique, était constituée d'un mélange de bactéries productrices d'une capsule et de bactéries non encapsulées, alors que la forme opaque, croissant mieux en milieu agité, comportait surtout des bactéries encapsulées.

    Quelle est la cause du changement morphologique réversible des deux colonies ? Les chercheurs ont montré que la production de la capsule qui enveloppe les Pseudomonas était activée. Le séquençage du génome de l'une des deux colonies a mis en évidence neuf mutations la différenciant de la population initiale de l'expérience. L'une d'elle modifiait une enzyme, la carbamoylphosphate synthétase, CarAB, sans doute impliquée dans la synthèse de la capsule. L'introduction de cette mutation dans des Pseudomonas a confirmé qu'elle est bien nécessaire et suffisante pour provoquer le changement aléatoire de morphologie. Comment ? On l'ignore encore, mais la synthèse de la capsule serait contrôlée par des mécanismes épigénétiques, c'est-à-dire liés au milieu intracellulaire ou extracellulaire et indépendants de la séquence du gène codant l'enzyme (cette dernière étant identique dans les bactéries encapsulées et dans les bactéries sans capsule).

    L'expérience montre ainsi qu'un changement morphologique réversible peut émerger en quelques générations chez des bactéries lorsqu'elles sont soumises à des conditions physico-chimiques fluctuantes. Selon les chercheurs, la stratégie de répartition des risques est vraisemblablement l'une des plus anciennes solutions de l'évolution, peut-être antérieure aux mécanismes de régulation génétique contrôlés par des molécules extracellulaires.

    http://www.pourlascience.fr/ewb_pages/a/actualite-comment-les-bacteries-anticipent-l-imprevu-23757.php

    Comment les bactéries anticipent l’imprévu
    © H.J.E. Beaumont

    Au cours d’une expérience obligeant la bactérie Pseudomonas fluorescens à évoluer constamment, une forme translucide (à gauche) et une forme opaque (à droite) de colonies bactériennes, différemment adaptées à leur environnement, sont apparues. Ces deux types de colonies assurent la survie de l’espèce lorsque le milieu de culture est alternativement stable et agité. Les colonies bactériennes sont ici éclairées par une lumière rouge.

    à voir aussi

    © H.J.E.Beaumont
    Bactéries Pseudomonas fluorescens sans capsule ou encapsulées (cercles jaunes). La proportion de bactéries encapsulées augmente dans les colonies opaques.

    Pour en savoir plus

    H.J.E. Beaumont et al., Experimental evolution of bet hedging, Nature, vol. 462, pp. 90-93, 2009.

    L'auteur

    Jean-Jacques Perrier est journaliste à Pour la Science.

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