• Le toucher de la parole

    Nous faisons bien plus que de voir avec les yeux et d'entendre avec les oreilles. Le sens du toucher permet aussi de mieux comprendre la parole.

    Jean-Jacques Perrier

    Mettez votre main devant la bouche. Dites « pa ». Avez-vous senti cette petite bouffée d'air ? Maintenant, prononcez « ba ». La bouffée d'air est moins perceptible, surtout si vous êtes anglophone. Bryan Gick et Donald Derrick, de l'Université de Colombie britannique, à Vancouver, ont voulu savoir si la sensation tactile de l'air émis lorsque nous parlons a une influence sur la compréhension de ce qui est dit.

    À l'aide d'un compresseur et de valves, ils ont produit de petites bouffées inaudibles vers deux endroits de la peau (cou et face dorsale de la main) de 66 volontaires non entraînés, tout en leur faisant écouter des répétitions de deux sons, soit « pa », et « ba », soit « ta » et « da ». Résultat : s'ils écoutaient le son « ba » alors qu'ils ressentaient une bouffée d'air, les sujets entendaient plus souvent le son « pa » que le véritable son ; de même, un « da » était perçu plus fréquemment comme un « ta » en présence d'un souffle d'air. Et celui-ci augmentait la perception des sons « pa » et « ta » en comparaison d'un groupe contrôle dont les membres ne recevaient aucune bouffée.

    Dès les années 1950, des recherches ont montré que la vision du mouvement des lèvres permet, sans entraînement spécifique, de mieux comprendre un interlocuteur, notamment dans un environnement bruyant ou lorsque la langue est étrangère, mais avec de fortes variations d'un individu à l'autre. En 1976, Harry McGurk et John MacDonald, à l'Université du Surrey, en Angleterre, ont montré qu'un anglophone regardant une séquence vidéo d'une personne prononçant « gaga » accompagnée du son « baba » identifie souvent un phonème intermédiaire, « dada » (effet McGurk). Cette expérience, reproduite depuis avec des locuteurs de différentes langues, a démontré que le cerveau humain gère des informations sensorielles différentes en les intégrant (ici, les informations étant conflictuelles, puisqu'elles n'indiquent pas le même son, elles « fusionnent » en produisant une perception intermédiaire).

    Les résultats de B. Gick et D. Derrick confirment que le cerveau intègre différentes informations sensorielles pour faire naître la perception. Ce qui est nouveau ici, c'est que le sens du toucher (la pression de l'air sur la peau) intervient aussi dans le traitement des sons. Les spécialistes parlent de parole multimodale ou multisensorielle. Ce résultat avait été pressenti dans les années 1920 par une enseignante américaine, Sophia Alcorn, qui avait développé une méthode d'apprentissage de la parole destinée aux enfants sourds et aveugles. Nommée Tadoma, cette méthode consistait à laisser l'enfant toucher les lèvres, la joue et le cou de son interlocuteur de façon à ce qu'il sente les mouvements déclenchés par la parole. Difficile à maîtriser, elle n'est plus guère utilisée aujourd'hui.

    http://www.pourlascience.fr/ewb_pages/a/actualite-le-toucher-de-la-parole-23922.php

    Le toucher de la parole
    PLS

    Les sensations tactiles permettent de mieux percevoir la parole.

    Pour en savoir plus

    B. Gick et D. Derrick, Aero-tactile integration in speech perception, Nature, vol. 462, sous presse.
     
     
    C.M. Reed, The implication of the Tadoma method of speechreading for spoken language processing, ICSLP 96 Proceedings, Fourth International Conference on Spoken Language, vol. 3, pp. 1489-1492, 1996. Version pdf.

    L'auteur

    Jean-Jacques Perrier est journaliste à Pour la Science.

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