• Lorsqu'on vieillit, nos cellules accumulent des défauts. Pourrait-on éliminer certains d'entre eux et ainsi rajeunir les cellules ? Un mécanisme observé sur l'ovocyte fournit des pistes de recherche.

    Jean-Jacques Perrier

    Plus les organismes vivants avancent en âge, plus l'ADN et les protéines de leurs cellules sont endommagés, en particulier sous l'action de petites molécules, les espèces réactives de l'oxygène, sous-produits de la respiration. C'est ce qui explique, en partie, que les maladies dégénératives et les cancers sont plus fréquents avec l'âge.

    Les cellules sexuelles, les spermatozoïdes des mâles et les ovocytes des femelles, n'échappent pas à ce phénomène, à mesure que l'individu qui les produit vieillit. Or les embryons et les nouveau-nés issus de la fécondation — la fusion de ces cellules — ne sont pas vieux avant l'âge : leurs cellules ne comptent presque pas de composants endommagés, sauf exceptions pathologiques. C'est donc qu'il existe des processus de rajeunissement qui évitent la transmission à la nouvelle génération de composants « vieillis » provenant des cellules sexuelles. Jérôme Goudeau et Hugo Aguilaniu, de l'École normale supérieure de Lyon et du CNRS, ont mis en évidence l'un de ces processus chez un modèle animal, le ver nématode Caenorhabditis elegans.

    Dans les cellules, les mutations et autres altérations de l'ADN sont naturellement réparées par divers mécanismes. De plus, la double division, ou méïose, que subissent les précurseurs des cellules sexuelles entraîne des recombinaisons génétiques grâce auxquelles les cellules sexuelles disposent d'un génome « neuf ». En revanche, les protéines du cytoplasme des cellules sont constamment altérées par le métabolisme, malgré des mécanismes de protection. Elles sont par exemple carbonylées, c'est-à-dire oxydées de façon irréversible par des composés à fonction C=O, qui se fixent sur certains acides aminés. Une machinerie cellulaire riche en enzymes, le protéasome, débarrasse normalement la cellule des protéines anormales en les dégradant en acides aminés, qui peuvent être recyclés dans la synthèse de nouvelles protéines. Mais le protéasome peut être débordé si les protéines dénaturées s'accumulent en trop grand nombre, voire bloqué lorsqu'elles forment des agrégats.

    En 2006, le groupe de Thomas Nyström, de l'Université de Göteborg, avec lequel collaborait H. Aguilaniu, a montré que le développement embryonnaire de la souris s'accompagne de l'élimination des protéines endommagées dans les cellules dont dérive le nouveau-né, parallèlement à une augmentation de l'activité du protéasome. C'est un mécanisme similaire, mais plus précoce, que les deux chercheurs lyonnais mettent en évidence aujourd'hui sur l'ovocyte de C. elegans. Grâce à une technique détectant par des anticorps la réaction d'un composé chimique avec les groupes carbonyl, ils ont pu visualiser pour la première fois les protéines carbonylées dans l'ovocyte à différents stades de son développement, une fois la cellule fixée.

    Ils ont d'abord confirmé que les protéines de cette cellule sont altérées par des composés carbonylés. Puis ils ont découvert que la quantité de protéines ainsi endommagées diminue brusquement dans l'ovocyte à la fin de sa maturation, au moment de la fécondation. Il semble que le début de la fécondation par un spermatozoïde envoie un signal à l'ovocyte qui déclenche le nettoyage de son cytoplasme, explique H. Aguilaniu. De plus, lorsque le fonctionnement du protéasome est inhibé de 10 à 20 pour cent par de petites molécules, ce ménage protéique ne se produit plus et la reproduction n'aboutit pas. On peut donc supposer que l'activation du protéasome est la cause du rajeunissement cellulaire de l'ovocyte. Cette activation serait elle-même sous le contrôle de gènes régulateurs qui s'exprimeraient sous l'effet de signaux intracellulaires, qu'il reste à identifier.

    http://www.pourlascience.fr/ewb_pages/a/actualite-comment-l-ovocyte-rajeunit-26152.php

    NIGMS-NIH
    NIGMS-NIH

    Le ver nématode Caenorhabditis elegans, un bon modèle pour étudier le vieilissement cellulaire.

    À VOIR AUSSI

    © H. Aguilaniu
    © H. Aguilaniu

    Les protéines carbonylées sont marquées de façon à mesurer leur abondance dans les ovocytes en maturation (les plus récents étant à droite ; au-dessus, on voit l'ovaire et les précurseurs des ovocytes en méïose). L'ovocyte mature traverse ensuite la spermathèque (non visible à droite), où sont stockés les spermatozoïdes. Le signal jaune clair de carbonylation diminue brusquement(flèche rouge) au niveau de l’ovocyte le plus mature.

    POUR EN SAVOIR PLUS

    J. Goudeau et H. Aguilaniu,Carbonylated proteins are eliminated during reproduction in C. elegans,Aging Cell, vol. 9, pp. 991-1003, décembre 2010.

    M. Hernebring et al.Elimination of damaged proteins during differentiation of embryonic stem cell,PNAS, vol. 103, pp. 7700-7705, 2006.

    L'AUTEUR

    Jean-Jacques Perrier est journaliste àPour la Science.

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  • http://www.pourlascience.fr/ewb_pages/a/actualite-des-cellules-pour-tolerer-le-soi-25855.php

    Des chercheurs aux États-Unis ont découvert une cellule du système immunitaire qui empêche d'autres cellules de l'organisme de s'attaquer au soi : une stratégie potentielle contre les maladies auto-immunes.

    Bénédicte Salthun-Lassalle

    Les maladies auto-immunes, tels la sclérose en plaque, le diabète de type I, le lupus ou la maladie de Crohn, sont dues à une hyperactivité du système de défense qui ne tolère plus le « soi » et détruit des cellules ou des substances de l'organisme. On trouve alors chez le patient des auto-anticorps, c'est-à-dire des molécules reconnaissant comme étrangers des antigènes (des « marqueurs ») du soi. On ignore souvent les causes des maladies auto-immunes, mais des prédispositions génétiques et un facteur déclencheur (un virus, une bactérie, un antigène alimentaire, etc.) pourraient être à l'origine du dérèglement du système immunitaire. Hye-Jung Kim, de la Faculté de médecine de Harvard à Boston, et ses collègues viennent de découvrir des cellules du système immunitaire qui contrecarrent ce déréglement, en empêchant la production des auto-anticorps.

    Le système immunitaire est censé défendre l'organisme contre des agents pathogènes extérieurs et des cellules du soi anormales ou cancéreuses. Pour ce faire, des cellules nommées lymphocytes B et T reconnaissent des protéines antigéniques à la surface des intrus. Elles déclenchent alors la réaction immunitaire, soit en produisant des anticorps dirigés contre les antigènes pathogènes, soit en détruisant directement l'intrus. Parfois, les lymphocytes B produisent des anticorps contre des molécules du « soi ». Ces auto-anticorps peuvent alors déclencher une réaction immunitaire « intolérante » et la maladie auto-immune s'installe.

    Les lymphocytes T et B sont très nombreux et variés selon leur fonction et les récepteurs qu'ils portent à leur surface. On sait notamment que des lymphocytes T régulateurs (appartenant à la catégorie des cellules T CD4+) sont capables de limiter la réponse immunitaire quand celle-ci s'emballe, par exemple lors d'une inflammation. Ils jouent le rôle de «police des polices du corps humain ». Les immunologistes ont désormais découvert, chez la souris, une population de lymphocytes T régulateurs dits CD8+ qui évite la production des auto-anticorps et empêche le développement d'une maladie auto-immune chez la souris.

    Comment agissent ces lymphocytes T CD8+ ? Ils interagissent, via une protéine de surface nommée Qa-1, avec les lymphocytes T auxiliaires folliculaires, une autre variété de lymphocytes T CD4+ qui commandent aux lymphocytes B de produire des anticorps. Cette rencontre inhibe les lymphocytes T auxiliaires folliculaires qui ne stimulent plus les lymphocytes B ; les auto-anticorps ne sont donc plus produits.

    Les immunologistes ont étudié des souris qui n'expriment plus la protéine Qa-1 des lymphocytes T auxiliaires folliculaires. Ces rongeurs développent une forme de lupus, preuve que leur système immunitaire s'est emballé et a produit trop d'auto-anticorps. En effet, les lymphocytes T CD8+ ne peuvent alors plus jouer leur rôle de régulateur et limiter l'activation des lymphocytes B.

    La manipulation des lymphocytes T régulateurs CD8+ peut ouvrir des perspectives thérapeutiques. En augmentant leur nombre, on limiterait des réactions auto-immunes. À l'inverse, en les éliminant, on pourrait stimuler l'immunité pour lutter contre des cancers ou des infections graves.

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    © Shutterstock/Juan Gärtner
    © Shutterstock/Juan Gärtner

    Les lymphocytes T régulateurs CD8+limitent la production des auto-anticorps; ils éviteraient les maladies auto-immunes.

    POUR EN SAVOIR PLUS

    Hye-Jung Kim et al.Inhibition of follicular T-helper cells by CH8+regulatory T cells is essential for self toleranceNature, vol. 467, pp. 328-333, 16 septembre 2010.

    Z. Fehervari & S. Sakaguchi, Système immunitaire : de nouveaux agents, Pour la Science n°349, novembre 2006.

    L'AUTEUR

    Bénédicte Salthun-Lassalle est journaliste à Pour la Science.

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  • http://www.pourlascience.fr/ewb_pages/a/actualite-comment-les-cellules-cancereuses-profitent-de-leurs-voisines-25861.php

    L

    es cellules du micro-environnement où sont immergées les cellules cancéreuses s'autodigèrent-elles pour favoriser la croissance des cellules cancéreuses ? Une nouvelle théorie le suggère.

     

    Jean-Jacques Perrier

    Dans les tumeurs cancéreuses épithéliales, les cellules anormales sont entourées d'un tissu, le stroma, formé de cellules de soutien, des fibroblastes modifiés, infiltrés de vaisseaux sanguins qui apportent les sucres, les acides aminés et l'oxygène nécessaires à la croissance de la tumeur. Il est bien établi que ce stroma participe au maintien des tumeurs. Mais jusqu'à quel point ? L'équipe de Michael Lisanti, de l'Université Thomas Jefferson, à Philadelphie, propose une idée iconoclaste : en s'autodigérant sous l'influence des cellules cancéreuses, et en fournissant ainsi à ces dernières des nutriments et de l'énergie, les cellules stromales serviraient de carburant à la croissance tumorale.

    Les cellules cancéreuses, même alimentées en oxygène par la circulation sanguine, ont un métabolisme énergétique différent des cellules normales. Pour produire de l'énergie, sous forme d'ATP (adénosine triphosphate), elles transforment le glucose en lactate par une série de réactions chimiques qui constituent la glycolyse. Elles produisent ainsi deux molécules d'ATP par molécule de glucose consommée, et cela malgré la présence d'oxygène. En revanche, la plupart des cellules normales utilisent l'oxygène pour produire leur ATP dans des organites nommées mitochondries, par un mécanisme nommé phosphorylation oxydative : le glucose est d'abord transformé dans le cytoplasme en pyruvate, qui entre dans les mitochondries où il subit un cycle de transformation en énergie et en dioxyde de carbone.

    Ainsi, l'absence de respiration observée dans les cellules cancéreuses s'expliquerait par une reprogrammation métabolique décrite en 1924 par le chimiste allemand Otto Warburg, prix Nobel en 1931. L'importance physiologique de cet « effet Warburg » est toutefois controversée, car certaines tumeurs apparaissent capables de respiration mitochondriale ; le métabolisme énergétique varierait selon le type de tumeurs, voire selon leur stade d'évolution, les gènes qui y sont exprimés et le micro-environnement tumoral.

    En outre, Michael Lisanti et ses collègues suggèrent qu'en fait, l'effet Warburg a lieu non pas dans les cellules cancéreuses, mais dans les cellules du stroma, selon un « effet Warburg inverse ». Le déclencheur serait une mutation qui empêche la synthèse d'une protéine des fibroblastes, la cavéoline 1. L'absence de cette protéine est associée à un mauvais pronostic chez les patients atteints de cancer du sein ou de cancer de la prostate.

    D'après les analyses réalisées sur des tissus de souris rendues incapables de produire la cavéoline, l'équipe de Philadelphie suggère le mécanisme suivant : l'absence de la cavéoline 1 activerait la production de métabolites, tel l'ADMA (diméthylarginine asymétrique), qui entraîneraient un stress oxydatif, c'est-à-dire la production de molécules oxydantes, tels les radicaux libres. Les cellules cancéreuses induiraient aussi directement un stress oxydatif dans les cellules stromales voisines, dont une des conséquences serait la perte de cavéoline. Le stress oxydatif endommagerait les mitochondries, poussant les cellules stromales à les « digérer » (mitophagie) et à se digérer (autophagie). Cette digestion serait facilitée par la surproduction d'un facteur chimique, HIF1-alpha (hypoxia factor 1), elle-même stimulée par celle d'un microARN sous l'effet du manque de cavéoline. Privées de mitochondries, les cellules stromales seraient contraintes d'utiliser la glycolyse pour produire l'énergie vitale (effet Warburg inverse). Finalement, les produits de l'autophagie des cellules stromales et de la glycolyse (acides aminés, nucléotides, métabolites énergétiques) seraient réutilisés par les cellules cancéreuses adjacentes pour produire leur énergie, par phosphorylation oxydative cette fois, ce qui rendrait possible leur prolifération.

    L'hypothèse tient debout, estime Rodrigue Rossignol, chercheur en métabolisme cellulaire au Laboratoire Physiopathologie mitochondriale (INSERM U688), à Bordeaux. « Plusieurs résultats ont montré que l'effet Warburg et la production d'énergie par les mitochondries varient selon les tumeurs ; l'effet Warburg inverse complèterait les possibilités d'adaptation des cellules cancéreuses, de façon peut-être comparable au soutien qu'apportent les cellules gliales aux neurones dans le cerveau. Toutefois, le mécanisme décrit suggère la présence d'un stress oxydatif important qui pourrait altérer les composants de fibroblastes "digérés", d'autant plus que l'autophagie détruit les protéines, les lipides et les acides nucléiques ; comment ces composés sont-ils sauvegardés d'une destruction complète ? L'autophagie est-elle incomplète ? » Pour les chercheurs américains, ce modèle demandera une validation expérimentale plus poussée, mais peut déjà servir de base rationnelle à de nouveaux développements thérapeutiques visant à inhiber l'autophagie du stroma, par exemple en ciblant la molécule ADMA, HIF1-alpha ou le stress oxydatif. Toutefois, « aussi séduisante que paraisse cette nouvelle piste, n'oublions pas que la caractéristique principale des cellules cancéreuses est leur plasticité et leur adaptabilité, relativise Jean-Pascal Capp, spécialiste du micro-environnement tumoral à l'INSA de Toulouse. La dynamique des populations de cellules cancéreuses fait qu'elles sont toujours capables de trouver une voie alternative lorsqu'elles font face à une barrière soit thérapeutique, soit naturelle dans l'organisme. »

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    National Cancer Institute-Cecil Fox
    National Cancer Institute-Cecil Fox

    Tumeur du sein au microscope. Les cellules cancéreuses (en violet) sont entourées de tissu conjonctif (en rose et rouge), partie essentielle du stroma.

    POUR EN SAVOIR PLUS

    S. Pavlides et al.The autophagic tumor stroma model of cancerCell Cycle, vol. 9, pp. 3485-3505, 2010.

    U. E. Martinez-Outschoorn et al.,Autophagy in cancer associated fibroblasts promotes tumor cell survivalCell Cycle, vol.9, pp. 3515-3533, 2010.

    B. Chiavarina et al.HIF1-alpha functions as a tumor promoter in cancer associated fibroblasts, and as a tumor suppressor in breast cancer cells, Cell Cycle, vol. 9, pp. 3534-3551, 2010.

    G. Bonuccelli et al.Ketones and lactate “fuel” tumor growth and metastasisCell Cycle, vol.9, pp. 3506-3514, 2010.

    L'AUTEUR

    Jean-Jacques Perrier est journaliste àPour la Science.

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  • Rabbit Rest: Can Lab-grown Human Skin Replace Animals in Toxicity Testing?

    New experimental models based on three-dimensional reconstructions of human skin are helping to reduce chemical testing on live animals, but cannot yet replace animals altogether

    By Nicholette Zeliadt   

     

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