• Les neurones miroirs – des neurones du cerveau permettant la perception des émotions d'autrui – des personnes autistes fonctionnent correctement, contrairement à ce que l'on pensait.

    Émilie Auvrouin

    Les neurones miroirs forment un ensemble de cellules nerveuses qui s'activent non seulement lorsque nous effectuons un geste, mais aussi lorsque nous voyons quelqu'un exécuter ce même geste. Ils seraient impliqués dans l'empathie, la faculté de cerner et de ressentir les émotions d'autrui. Les autistes n'ayant pas cette aptitude, les neurobiologistes ont longtemps supposé que leurs neurones miroirs ne fonctionnaient pas correctement. Ilan Dinstein et ses collègues du Centre de neurosciences de l'Université de New York viennent de réfuter cette hypothèse.

    Plusieurs études de neuro-imagerie ont montré que les neurones miroirs des autistes ont des réponses beaucoup plus faibles que celles de sujets normaux lorsqu'ils observent puis imitent certains mouvements. Cependant, ces études ne s'intéressent pas à la façon dont ces groupes de neurones s'activent en fonction des différents mouvements reproduits. En effet, on a déjà observé, chez les primates et chez l'homme, qu'à chaque action observée ou effectuée correspond une réponse unique d'un ensemble de neurones miroirs. En outre, en 2007, l'équipe d'Ilan Dinstein avait montré que, chez des sujets sains, les neurones miroirs s'adaptent – leur réponse diminue – lorsque le même geste est répété. Ils ont souhaité vérifier si c'est le cas chez les autistes.

    Dans un premier test, les chercheurs ont demandé au groupe contrôle et aux sujets autistes d'observer différents gestes de la main projetés sur un écran. Dans un second test, ils leur ont demandé d'exécuter plusieurs mouvements de la main droite (par exemple, les mouvements du jeu pierre, papier, ciseaux) en leur transmettant des instructions orales.

    L'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) a révélé que des zones cérébrales appartenant au système des neurones miroirs (le sillon intrapaériétal antérieur et le cortex prémoteur ventral) s'activent aussi bien pendant l'observation que pendant l'exécution des mouvements. Mais de façon étonnante, ces zones s'activent avec la même intensité chez les autistes que chez les autres sujets.

    Les chercheurs ont ensuite enregistré la réponse neuronale lorsque les sujets observaient plusieurs fois un même geste, puis lorsqu'ils le répétaient. Contrairement à ce que l'on supposait, les sujets autistes présentent des réponses semblables à celles des autres sujets, réponses qui diminuent quand le geste est répété, que ce soit pour l'observation ou l'exécution. Ce résultat traduit un phénomène d'adaptation, que l'on ne soupçonnait pas jusqu'alors chez les pesonnes atteintes d'autisme et qui remet en cause l'hypothèse d'un dysfonctionnement de leurs neurones miroirs.

    Autisme : les neurones miroirs hors de cause
    © Shutterstock/Tramper

    Les individus autistes ont des difficultés à communiquer avec les autres et présentent des troubles du comportement. Alors que l'on pensait que leurs neurones miroirs ne fonctionnaient pas correctement, de nouveaux résultats viennent infirmer cette hypothèse.

    L'AUTEUR

    Émilie Auvrouin est journaliste àL'Essentiel de Cerveau & Psycho.

    POUR EN SAVOIR PLUS

    I. Dinstein et al.Normal movement selectivity in autismNeuron, Vol. 66, pp. 462-470, 2010.
     
     
    - J. Decety, La force de l’empathie,Cerveau&Psycho, n°38, pp. 43-49, mars 2010.
     
    - S. Bohler, Empathie : la fin des neurones miroirs ?Cerveau&Psycho, en ligne, 31 mars 2009.
     
    - G. Rizzolatti et al.Les neurones miroirsPour la Science, n°351, pp. 44-49, janvier 2007.
     
    - V. Ramachandran et L. Oberman, Les miroirs brisés de l’autismePour la Science, n°351, pp. 50-57, janvier 2007.

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  • Pour inciter les femelles à rester sur leur territoire et augmenter les chances de s'accoupler avec elles, les antilopes Topi mâles émettent de faux signaux d'alerte.

    Loïc Mangin

    Dans le monde animal, plusieurs cas de supercherie sont connus. Certains oiseaux feignent par exemple d'être blessés pour éloigner un prédateur de leur nid, d'autres émettent un signal d'alarme pour éloigner leurs congénères d'une source de nourriture. Dans ces cas, les motivations des manipulateurs et des manipulés sont opposées. En revanche, lorsqu'il s'agit de communication entre individus ayant un même objectif, notamment se reproduire, les exemples de supercherie sont plus rares. Jakob Bro-Jørgensen, de l'Université de Liverpool, et Wiline Pangle, de l'Université d'État de l'Ohio, à Colombus, aux États-Unis, en ont identifié un chez l'antilope Topi(Damaliscus lunatus).

    Entre 2005 et 2009, les biologistes ont observé ces antilopes dans la réserve nationale du Masai Mara, au Sud-Ouest du Kenya. À la saison des amours, lorsque les femelles sont en ovulation – une période de un à deux jours seulement –, elles parcourent les territoires de plusieurs mâles (quatre en moyenne) et s'accouplent une dizaine de fois. Comment, pour un mâle, prolonger la présence d'une femelle sur son territoire et ainsi augmenter ses chances d'avoir une descendance ? En trichant !

    Quand une antilope Topi repère un prédateur, elle émet, même quand elle est seule, une sorte de grognement proche d'un reniflement. Ce son, d'une part, alerte les congénères et, d'autre part, informe le prédateur (lion, guépard, léopard...) qu'il ne peut plus compter sur l'effet de surprise. Toutefois, en période de reproduction, quand un mâle voit une femelle sur le point de quitter son territoire, il peut aussi émettre ce signal, même en l'absence de menace. Sur ses gardes, la femelle s'arrête, offrant au prétendant un temps supplémentaire pour parvenir à ses fins.

     

    © J. Bro-Jørgensen

    À l'aide d'enregistrements, J. Bro-Jørgensen et W. Pangle ont montré que les femelles ne distinguent pas une fausse alarme d'un vrai signal de danger. Comme dans l'histoire du loup et du berger, les femelles ne risquent-elles pas un jour de ne plus prêter attention à ces faux signaux ? Sans doute pas, car le risque serait de finir au menu d'un fauve. Le coût de la prudence est nécessairement moindre, même s'il s'agit de céder aux avances d'un mâle un peu trop entreprenant.

    Les fourberies de l’antilope
    © J. Bro-Jørgensen

    Une antilope Topi juchée sur une termitière, au Kenya.

    À VOIR AUSSI

    © J. Bro-Jørgensen
    Malgré l’absence de danger, un mâle Topi (en haut, à l’arrière-plan) a émis un grognement d’alerte, et scrute l’horizon comme s’il avait détecté un prédateur. Une femelle (en haut, au premier plan) qui se dirigeait vers la prétendue menace s’arrête. Alors qu’elle fait demi-tour (au centre) et s’apprête à s’éloigner, le mâle détourne son attention vers elle (ses oreilles et son regard ont changé d’orientation). Peu après, le mâle parvient à ses fins et s’accouple avec la femelle abusée (en bas).

    L'AUTEUR

    Loïc Mangin est rédacteur en chef adjoint à Pour la Science.

    POUR EN SAVOIR PLUS

    J. Bro-Jørgensen et W. Pangle, Male Topi antelopes alarm snort deceptively to retain females for matingThe American Naturalist, vol.176, à paraître, juillet 2010.

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  • Nous serions plus heureux à 60 ans qu'à 30 ans.

    Bénédicte Salthun-Lassalle

    Le fait de se sentir bien psychologiquement serait signe de bonne santé physique. Mais peut-on être heureux toute une vie ? Y a-t-il des périodes où l'on se sent mieux ? Arthur Stone, de l'Université Stony Brook à New York, et ses collègues ont montré que les personnes de plus de 60 ans seraient plus heureuses que les jeunes adultes.

    Pour ce faire, ils ont utilisé les données d'une enquête téléphonique réalisée en 2008 portant sur plus de 340 000 américains. Les participants devaient d'abord noter leur bien-être général au moment de l'enquête sur une échelle de zéro à dix. D'autres questions visaient ensuite à estimer leur bien-être personnel : « Avez-vous éprouvé tel sentiment suivant au cours de la journée d'hier ? Et combien de fois ?», et ce pour les sentiments de joie, de bonheur, de stress, d'inquiétude, de colère ou de tristesse.

    Les résultats montrent qu'après 60 ans, les participants éprouvent davantage de bonheur que les  adultes d'une trentaine d'années, et seraient moins stressés et moins inquiets. La tendance serait la même pour les hommes et les femmes, mais ces dernières seraient en moyenne plus stressées, plus inquiètes et plus tristes que les hommes. Bien que les chercheurs constatent une augmentation des sensations positives (la joie et le bonheur) après 60 ans, c'est surtout la fréquence des sentiments négatifs (le stress et l'inquiétude notamment) qui chute avec l'âge. En outre, le fait d'avoir des enfants, d'être au chômage ou célibataire ne change pas cette tendance.

    Pourquoi les personnes âgées seraient-elles plus heureuses ? Les raisons ne sont pas claires, mais après 60 ans, on analyserait mieux nos sentiments – on serait plus « sage », voire plus intelligent émotionnellement – et on oublierait plus facilement les événements négatifs. Tâchez quand même de ne pas attendre cet âge pour éprouver du bonheur et de la joie !

    http://www.pourlascience.fr/ewb_pages/a/actualite-heureux-en-vieillissant-25267.php

    Heureux en vieillissant
    © Shutterstock/Yuri Arcurs

    L’homme vieillissant est plus sage et plus heureux.

    POUR EN SAVOIR PLUS

    L'AUTEUR

    Bénédicte Salthun-Lassalle est journaliste à Pour la Science.

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  • Deux études récentes précisent de quelle façon le cerveau produit des jugements moraux, et comment ces jugements peuvent faillir.

    Sébastien BOHLER

    Q'est-ce qui distingue un crime intentionnel d'un crime accidentel ? À l'Université de Cambridge dans le Massachusetts, Liane Young et ses collègues ont identifié une zone du cerveau qui sert à établir cette distinction. Il s'agit d'une aire localisée à l'arrière et au-dessus de l'oreille, et nommée jonction temporopariétale. Quand on bloque le fonctionnement de cette zone cérébrale, les personnes ont des jugements moraux aberrants.

    Pour évaluer le jugement moral des personnes testées, les chercheurs utilisent deux histoires. Dans le premier scénario, Grace a l'intention de donner la mort, sans y parvenir : « Grace et son amie visitent une usine de produits chimiques. Quand Grace se rend au distributeur de boissons pour obtenir des cafés, son amie précise qu'elle voudrait du sucre. La poudre blanche à côté de la machine est du sucre laissé par quelqu'un d'autre. Mais comme elle a été laissée dans un conteneur marqué “toxique”, Grace pense que la poudre est mortelle. Elle la verse dans le café de son amie, qui boit le café et se porte bien. » Dans le second scénario, il y a mort sans intention de la donner : « La poudre blanche à côté de la machine est un composé toxique. Mais elle est disposée dans une boîte banale juste à côté du distributeur de boissons, et Grace croit que c'est du sucre. Elle la verse dans le café de son amie. Son amie boit le café et meurt.»

    Dans l'étude réalisée à Cambridge, les personnes dont la zone temporo-pariétale est inhibée jugent le premier scénario acceptable : ce n'est pas grave que Grace cherche à empoisonner son amie, puisqu'elle n'y parvient pas.

    Une autre étude analogue a été publiée dans l'équipe d'Antonio Damasio à l'Université de Los Angeles. Cette fois, les scientifiques ont examiné la capacité de personnes atteintes de lésions cérébrales à faire la différence entre les deux scénarios. Les lésions cérébrales étaient concentrées à l'avant du cerveau, dans une zone nommée cortex préfrontal ventromédian. À nouveau, les personnes cérébrolésées jugeaient beaucoup plus acceptable moralement de vouloir la mort de quelqu'un sans y parvenir, que de causer la mort de quelqu'un sans le vouloir. La notion d'intention et de crime prémédité leur échappait complètement, elles ne jugeaient que le résultat.

    Quel rôle remplissent ces deux zones cérébrales ? La jonction temporo-pariétale permet de savoir que Grace est avertie que la poudre versée dans le café de son amie est du poison. Le cortex préfrontal ventromédian ajoute une dimension émotionnelle à cette évaluation cognitive ; sans cette dimension affective, avoir l'intention de tuer n'est pas condamnable tant que la personne ne meurt pas. Et l'on imagine déjà que des experts auprès des tribunaux pourraient atténuer la responsabilité d'un accusé en plaidant une lésion ou une inactivation d'une de ces zones.

    La morale, alchimie cérébrale ?

    L'AUTEUR

    Sébastien Bohler est journaliste àCerveau&Psycho.

    POUR EN SAVOIR PLUS

    L. Young et al., Damage to ventromedial prefrontal cortex impairs judgment of harmful intent, in Neuron, vol. 65, p. 845, 2010
     
    L. Young et al., Disruption of the right temporoparietal junction with transcranial magnetic stimulation reduces the role of beliefs in moral judgments, in PNAS, édition avancée en ligne

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  • Fumée de cigaretteLa plupart des tabacologues pensaient que chaque bouffée de cigarette provoquait un afflux massif et bref de nicotine dans le cerveau. Ce n'est pas le cas.
    Comment devient-on dépendant à la cigarette ? Pour la majorité des tabacologues, l’explication est simple. Lorsque le fumeur inhale une bouffée, la nicotine contenue dans le tabac pénètre dans ses poumons. Elle est absorbée entièrement par le sang, qui la transporte d’un bloc jusqu’au cerveau. Là, elle déclenche des mécanismes dans le « circuit de la récompense », un système impliqué dans la motivation de comportements vitaux comme la reproduction ou la recherche de nourriture. Elle provoque alors un plaisir intense. Puis elle disparaît après une quinzaine de secondes. Pour retrouver la même sensation de plaisir, le fumeur prend une autre bouffée, qui entraîne un nouveau pic de concentration de nicotine dans le cerveau. Répété de nombreuses fois, ce phénomène dérègle le système du plaisir et cause une dépendance.

     

    Pics de nicotine. Cette théorie est en fait complètement fausse, viennent de montrer Jed Rose, de l’université Duke aux États-Unis, et ses collègues [1]. Ces spécialistes de l’addiction ont voulu tester l’hypothèse des pics de nicotine. Pour cela, ils ont analysé les concentrations de cette substance dans le cerveau au moyen de la tomographie par émission de positons, une technique d’imagerie cérébrale en trois dimensions. Ils ont placé 13 fumeurs réguliers et 10 fumeurs occasionnels dans un scanner, et leur ont demandé de fumer une cigarette. Or, ils n’ont observé de pic de nicotine dans le cerveau d’aucun d’entre eux. Au contraire, la concentration de cette substance y a augmenté régulièrement, au fur et à mesure qu’ils fumaient leur cigarette. La quantité maximale n’a été atteinte qu’au bout de 3 à 5 minutes. Par ailleurs, l’accumulation de nicotine a été environ deux fois plus lente chez les fumeurs réguliers que chez les fumeurs occasionnels. Selon les auteurs, les gros fumeurs garderaient plus longtemps la nicotine dans leurs poumons qui sont encombrés à la suite des effets chroniques du tabac.

     

    Plaisir intense. « On savait déjà que la nicotine mettait environ 13 minutes pour perdre la moitié de son activité, précise Jean-Pol Tassin, neuropharmacologue à l’Inserm, à Paris. Elle ne disparaît donc pas au bout de quelques secondes, comme l’ont longtemps pensé les tabacologues. Grâce à l’étude menée par l’équipe de Jed Rose, on a désormais la preuve que ces pics de nicotine n’existent pas. Ce résultat remet en question l’idée que la dépendance au tabac provient d’une succession de plaisirs intenses. » Cette découverte amène aussi à chercher de nouvelles hypothèses pour expliquer le manque d’efficacité des patchs et des gommes à mâcher. Ces substituts nicotiniques destinés à sevrer l’organisme ne fonctionnent pas dans 85 % des cas. Selon les tabacologues, cela est dû au fait qu’ils délivrent de la nicotine de manière continue : ils n’entraînent pas de pics de nicotine, et donc pas de plaisir intense, contrairement à la cigarette. En fait, explique Jean-Pol Tassin : « La nicotine n’est probablement pas addictive seule. En 2009, mon équipe a suggéré qu’elle agissait uniquement en présence de composés toxiques présents dans la fumée de tabac et absents des patchs et des gommes [2]. L’inexistence des pics de nicotine renforce cette hypothèse. »

    Jacques Abadie

    [1] J.E. Rose et al., PNAS, 107, 5190, 2010.
    [2] C. Lanteri et al., Journal of Neuroscience, 29, 987, 2009.

    http://www.larecherche.fr/content/actualite-sante/article?id=27926


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