• Les bernard-l'ermite adoptent parfois un comportement social pour changer de coquille. Ils diminuent ainsi leur vulnérabilité aux prédateurs.

    Loïc Mangin

    Les bernard-l'ermite, également nommés pagures, sont des crustacés dont l'abdomen est mou ; aussi le protègent-ils en investissant le plus souvent des coquilles de gastéropodes vides. Certains sont marins, d'autres uniquement terrestres, comme les crabes de cocotiers (seuls les jeunes recourent à ce type de protection). À l'inverse de ce que leur nom peut laisser croire, les bernard-l'ermite ne vivent pas tous en solitaires. De fait, Randi Rotjan, de l'Université Harvard, aux États-Unis, et ses collègues ont étudié le comportement social de ces animaux lorsqu'il s'agit de changer d'abri.

    Les bernard-l'ermite grandissent par mues successives ; ils ont donc régulièrement besoin de changer de résidence. Or un nouveau logement adapté est rarement disponible à proximité de la coquille devenue trop petite, et l'animal s'expose aux prédateurs le temps d'explorer son environnement à la recherche d'un logis confortable.

    Pour minimiser cette vulnérabilité, une stratégie des bernard-l'ermite consiste à se regrouper entre congénères (a priori de tailles différentes). Les crustacés s'alignent du plus grand au plus petit pour explorer l'environnement (on parle de chaîne de vacances), et dès que le plus grand d'entre eux trouve une coquille qui lui convient mieux, tous peuvent, par un effet domino, changer de demeure au même moment (la plus petite coquille restant vide).

    En dispersant des coquilles vides, en laboratoire ou sur le terrain, les biologistes se sont intéressés à la mise en place de ces chaînes de vacances chez Coenobita clypeatus, un bernard-l'ermite terrestre des Caraïbes. Quand un spécimen seul découvre une coquille vide, mais surdimensionnée, il attend parfois 24 heures à proximité plutôt que de s'en s'éloigner, le temps qu'un petit groupe se rassemble. Commence alors un ballet (voir la vidéo ci-dessous) où chacun se transporte et se passe par-dessus de sorte qu'une chaîne de vacances s'établit. L'échange synchrone de coquilles peut enfin avoir lieu.

    © R. Rotjan et al.

    Cependant, ce comportement social n'est un avantage que dans une population suffisamment dense pour qu'un groupe puisse se former. D'autres inconvénients par rapport à un changement de coquille isolé ont été identifiés par les biologistes. Ainsi, en groupe, les risques de blessures par des congénères sont plus nombreux. De plus, une réunion de bernard-l'ermite attire plus facilement des prédateurs, certains pouvant faire fi de la coquille. Enfin, lors du changement synchrone d'abri, des individus « malchanceux » peuvent récupérer une coquille qui n'est pas complètement adaptée, alors qu'un animal seul pourra la délaisser en attendant une meilleure option.

    Les chaînes de vacances existent également chez les humains. Par exemple, le 1er septembre est, à Boston, le terme des baux signés avec les étudiants pour leurs logements. On assiste alors à un vaste mouvement où ceux qui restent et ceux qui arrivent doivent trouver un toit pour l'année à venir. Mais ici, la taille des futurs habitants ne compte pas...

     

    http://www.pourlascience.fr/ewb_pages/a/actualite-le-bernard-l-ermite-face-a-la-crise-du-logement-25112.php

    Le bernard-l’ermite  face à la crise du logement
    © AbsolutDan

    Coenobita clypeatus, un bernard-l’hermite terrestre des Caraïbes.

    à voir aussi

    © R. Rotjan et al.
    Une chaîne de vacances chez Coenobita clypeatus : les crustacés sont rangés du plus petit au plus grand et s’apprêtent à changer de coquille de façon synchrone quand le plus grand aura trouvé un nouveau logis.

    L'auteur

    Loïc Mangin est rédacteur en chef adjoint à Pour la Science.

    Pour en savoir plus

    R. Rotjan et al., Social context of shell acquisition in Coenobita clypeatus hermit crabs, Behavioral Ecology, vol. 21(3), pp. 639-646, 2010.

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  • Le débit d'un courant froid de l'océan Austral, une sorte de rivière sous-marine à 3 000 mètres de profondeur, serait beaucoup plus important que prévu. Son rôle sur la circulation océanique globale reste à évaluer.

    Jean-Jacques Perrier

    Dans les régions polaires, les océans sont parcourus de courants froids profonds qui remontent vers l'équateur. Yasushi Fukamachi, Steve Rintoul et leurs collègues de l'Université d'Hokkaido, au Japon, et du Centre de recherche sur le climat et les écosystèmes antarctiques, à Hobart, en Australie, ont découvert que l'un d'eux, au Sud de l'océan Indien, présente le débit le plus élevé jamais mesuré à 3 500 mètres de profondeur.

    Durant les deux dernières décennies, les scientifiques ont effectué des mesures sur l'« Eau antarctique de fond » (AABW, Antarctic bottom water), un déplacement d'eau à une température proche de 0 °C qui remonte vers le Nord à plus de 2 000 mètres de profondeur. Ces mesures indiquent une circulation via deux courants profonds (ou DWBC, deep western boundary currents). Le premier remonte de la mer de Weddell, dans l'Atlantique sud, jusqu'au large du Brésil ; le second courant part de la mer de Ross, dans la partie Pacifique de l'océan Austral, passe au large de la Terre Adélie, dans l'océan Indien austral, puis continue son chemin le long du plateau des Kerguelen, une vaste formation volcanique sous-marine située au Nord du continent Antarctique, à 4 200 kilomètres au Sud-Ouest de l'Australie.

    Ce courant des Kerguelen a été mis en évidence en 1994 par Kevin Speer et Andrew Forbes, de l'Agence australienne de la recherche (CSIRO). En 1999, l'équipe de Kathleen Donohue, de l'Université d'Hawaii, et de Michael McCartney, de la Woods Hole Oceanographic Institution, dans le Massachusetts, avait réalisé une première estimation de sa vitesse et de son débit.

    Pour obtenir des séries de mesures au cours du temps et, ainsi, un débit moyen, le groupe australo-japonais de Y. Fukamachi et S. Rintoul a mis en place entre février 2003 et janvier 2005, à partir du bateau d'exploration Aurora Australis, huit lignes de mouillage portant des courantomètres (appareils qui mesurent la vitesse de l'écoulement) et des instruments de mesure de la température et de la salinité, le tout réparti sur 175 kilomètres à l'Est du plateau des Kerguelen.

    Ces mesures montrent que le courant profond des Kerguelen est au moins aussi puissant — et sans doute davantage — que celui qui naît dans la mer de Weddell et qu'il fluctue peu au cours du temps. À 75 kilomètres du bord du plateau, son débit moyen est de 12,3 sverdrups (millions de mètres cubes par seconde), avec une vitesse moyenne de 20 centimètres par seconde, sur une largeur de seulement 50 kilomètres. Près de la moitié du courant repartant vers le Sud, le débit moyen net est estimé à 8 sverdrups, soit quatre fois plus que celui du courant de Weddell dans l'Atlantique Sud. Les chercheurs relativisent cependant cette différence, compte tenu des imprécisions des mesures effectuées dans l'Atlantique Sud, qui datent de 1991.

    Les courants d'origine polaire participent à la circulation océanique globale qui relie tous les océans du globe. Ils contribuent à les refroidir et, ainsi, à réguler le climat terrestre. Pour l'heure, on ignore le rôle exact du courant des Kerguelen. Il dépend notamment de sa capacité à se mélanger au Courant circumpolaire antarctique ou à le traverser. Ce dernier, le plus puissant des courants océaniques, brasse plus de 100 millions de mètres cubes d'eaux froides par seconde d'Ouest en Est dans l'océan Austral.

    http://www.pourlascience.fr/ewb_pages/a/actualite-le-courant-marin-venu-du-froid-25097.php
    Le courant marin  venu du froid
    Kurtis Burmeister, National Science Foundation

    Au large de l'Antarctique, des eaux salées et froides (d'une température proche de 0 °C) et denses (l'eau froide étant plus dense que l'eau tiède) plongent le long du plateau continental et alimentent des courants froids profonds.

    à voir aussi

    National Geophysical Data Center
    Situation du plateau des Kerguelen (ovale blanc) dans l'océan Indien austral.
    CSIRO
    Le courant profond des Kerguelen (en gris) est créé par la plongée d'eaux froides en mer de Ross et au large de la Terre Adélie. Il longe le plateau des Kerguelen à l'Est. Une moitié effectue une boucle vers le pôle Sud tandis que l'autre continue sa route vers le Nord.
    NASA
    Le courant circumpolaire antarctique (en bleu) est le plus puissant courant marin de la Terre, avec un débit de plus de 100 sverdrups (millions de mètres cubes par seconde). Faisant tout le tour de l'océan Austral le long du continent Antarctique, il relie d'Ouest en Est les parties australes de l'océan Atlantique, de l'océan Indien et de l'océan Pacifique. Il est possible que le courant des Kerguelen l'alimente.

    Pour en savoir plus

    Y. Fukamachi et al., Strong export of Antarctic Bottom Water east of the Kerguelen plateau, Nature Geoscience, prépublication en ligne, 25 avril 2010.

    L'auteur

    Jean-Jacques Perrier est journaliste à Pour la Science.

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