• Un gène pour rester femelle

    Chez la souris femelle adulte, les ovaires répriment constamment leur tendance à devenir des organes mâles grâce à l'action d'un gène clef.

    Jean-Jacques Perrier

    Chez l'homme et les autres mammifères, toute cellule dotée d'un chromosome Y et d'un chromosome X est mâle, et toute cellule possédant deux chromosomes X est femelle. Du moins en principe, car l'équipe de Mathias Treier, du Laboratoire européen de biologie moléculaire (EMBL), à Heidelberg, et celle de Robin Lovell-Badge, du Medical Research Council, à Londres, ont découvert que chez la souris adulte, l'ovaire, l'organe producteur des ovocytes, ne reste femelle qu'à la condition qu'un gène soit activé en permanence. Lorsque ce gène, nommé Foxl2 (Forkhead box L2), est réduit au silence, des cellules de l'ovaire dites folliculaires se transforment en cellules de testicule dont certaines produisent de l'hormone mâle, la testostérone, mais sans qu'il y ait production de spermatozoïdes.

    Il est établi depuis les années 1990 que les embryons de mammifères deviennent mâles à cause de la protéine SRY, codée par le gène Sry du chromosome Y, qui déclenche des réactions qui activent le gène Sox9. Cette voie moléculaire dirige la différenciation des cellules des gonades embryonnaires en cellules du tissu de soutien des testicules, les cellules de Sertoli. Celles-ci produisent des facteurs qui stimulent la formation des cellules de Leydig, productrices de la testostérone. En l'absence de cette cascade biochimique dépendante de SRY, les gonades se développent en ovaires, ce qui a fait dire que la différenciation femelle est une voie « par défaut ».

    L'équipe germano-britannique montre qu'en réalité, la voie femelle est une voie active qui inhibe la cascade menant au développement testiculaire. On savait déjà que la protéine FOXL2 est codée par un gène présent sur le chromosome 3, donc chez les deux sexes, mais qu'elle n'est produite que chez la femelle, pour des raisons qui restent à déterminer. M. Treier et ses collègues montrent que FOXL2 inhibe le gène Sox9 durant toute la vie, permettant le maintien des cellules folliculaires, et que la levée d'inhibition du gène Sox9 déclenche, chez la souris adulte, la reprogrammation de ces cellules ovariennes en cellules semblables aux cellules de Sertoli et de Leydig. De plus, la répression de Sox9 se produit par l'action commune de FOXL2 et des récepteurs aux hormones estrogènes ; elle dépend donc de la production de ces hormones femelles.

    Peut-on en tirer des enseignements sur les syndromes de différenciation sexuelle anormale qui touche l'espèce humaine ? Plus ou moins, car les signaux moléculaires et la chronologie des événements menant à la différenciation des ovaires varient selon les espèces, explique Eric Pailhoux, de l'INRA à Jouy-en-Josas. Chez plusieurs espèces de vertébrés, dont la chèvre, le gène Sox9 semble inhibé par deux voies moléculaires dans des cellules distinctes de l'ovaire embryonnaire : celle impliquant le gène Rspo1, découvert en 2006 chez l'homme, qui contrôle le devenir des cellules germinales à l'origine des ovocytes ; et celle de Foxl2, qui active la production d'hormones estrogènes bien avant la naissance, contrairement au cas de la souris. Il faudra vraisemblablement démêler les interactions entre ces deux voies moléculaires pour y voir plus clair. Ces travaux pourraient aussi améliorer les connaissances sur la fertilité, souligne Marie-Christine Chaboissier, de l'INSERM U636, à Nice, car il semble que la différenciation des cellules germinales en ovocytes dépende de l'environnement créé par les cellules somatiques ovariennes et des molécules qu'elles produisent.

    Un gène pour rester femelle
    Bill Branson, National Institutes of Health

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    © M. Treier / EMBL
    Un ovaire d’une souris femelle adulte normale (à gauche, en bas) comprend des follicules ovariens où se développent les ovocytes (taches claires). Ceux-ci sont entourés d’une couche granuleuse de soutien, formée de cellules de la granulosa (en haut), elles-mêmes entourées de cellules de la thèque qui produiront les hormones estrogènes. Lorsque le gène Foxl2 est inactivé dans les cellules de la granulosa, celles-ci adoptent les caractéristiques des cellules de soutien testiculaires, les cellules de Sertoli (à droite, en haut).

    Pour en savoir plus

    N.H. Uhlenhaut et al., Somatic sex reprogramming of adult ovaries to testes by FOXL2 ablation, Cell, vol. 139, pp. 130-1142, 2009.

    L'auteur

    Jean-Jacques Perrier est journaliste à Pour la Science.



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