• Quand l'amitié virile sert à conquérir les femelles

    Chez l'animal, les mâles entretiennent des liens d'« amitié » à deux ou trois. Des études sur une espèce de macaque et de dauphin montrent qu'ils s'en servent surtout pour s'assurer une descendance.

    Jean-Jacques Perrier

    Les éthologues admettent généralement que, chez les animaux polygames, la formation de liens entre mâles non apparentés est peu probable puisqu'ils se concurrencent pour accéder aux femelles. Au contraire, les femelles créeraient plus facilement des liens mutuels, parce qu'elles sont en compétition pour des ressouces moins limitées, telles que la nourriture, et qu'elles ont intérêt à collaborer pour élever les jeunes ou les protéger des prédateurs. Or deux études menées sur le macaque d'Assam (Macaca assamensis), un singe d'Asie du Sud-Est, et sur le grand dauphin (Tursiops sp.), montrent que les mâles non apparentés forment des alliances durables et que celles-ci ont une fonction essentielle : améliorer les chances de se reproduire.

    Oliver Schülke et Julian Ostner, de l'Université de Göttingen, en collaboration avec une équipe de l'Institut Max Planck d'anthropologie évolutionniste de Leipzig, ont suivi de 2005 à 2007, durant trois périodes, une colonie d'une cinquantaine de macaques d'Assam, dont une dizaine de mâles, dans la réserve de Phuo Khieo, en Thaïlande. Chez cette espèce, les mâles s'associent périodiquement pour agresser des individus isolés. Les scientifiques allemands ont observé que certains macaques forment, avec un ou deux autres mâles de la colonie, des alliances qui les aident à affronter ces agresseurs. De plus, plus les liens sont forts, ce que l'on mesure par la fréquence des rapprochements et du toilettage mutuel, plus le statut social de chaque mâle d'un duo ou d'un trio est protégé, et plus grandes sont ses chances d'accéder à un rang de dominance dans le groupe.

    Ainsi, l'un des macaques qui avait noué des relations avec deux mâles du groupe au début de l'étude se trouvait deux ans plus tard à la tête de la colonie, en compagnie de son meilleur « ami ». En revanche, l'un des mâles de grande taille qui était numéro trois de la colonie n'occupait plus que le rang numéro huit, faute d'avoir créé des liens avec d'autres mâles. Or la place dans la hiérarchie du groupe est l'une des clés qui donnent accès aux femelles et permettent aux mâles d'avoir une descendance, comme l'a confirmé une analyse génétique de paternité reposant sur les prélèvements d'ADN dans les excréments. Chez ces primates, l'amitié virile a donc une « fonction politique », qui permet aux mâles d'améliorer leur propre statut social relativement à celui des autres et ainsi de garantir leur succès reproducteur.

    Depuis 20 ans, Richard Connor, de l'Université du Massachusetts, à Dartmouth, a montré que des relations durables existent aussi entre mâles du grand dauphin (Tursiops sp.). Ce mammifère marin forme des duos ou des trios qui durent plusieurs années, alliances dites de premier ordre qui aident les mâles à repérer les femelles en chaleur et à en retenir une captive durant plusieurs semaines, le temps de se reproduire. D'après les analyses génétiques, les alliés sont de préférence des individus apparentés. Ils peuvent aussi constituer des alliances de deuxième ordre comptant jusqu'à une dizaine d'individus, qui permettent de ravir une ou plusieurs femelles à d'autres groupes alliés ou empêchent ces derniers de le faire. À cette occasion, les combats entre mâles peuvent être violents.

    R. Connor et des collègues des Universités du Colorado, de Nouvelle-Galles du Sud (Australie) et de Zurich ont cartographié les relations d'alliance entre une centaine de mâles d'une population du grand dauphin de l'océan Indien (Tursiops aduncus), dans la Baie des requins, en Australie occidentale. Ils ont ainsi mis en évidence des alliances de troisième ordre, cette fois entre individus non apparentés. Lorsqu'ils sont confrontés à d'autres groupes pour l'accès aux femelles, et uniquement dans ce cas, deux groupes ayant conclu une alliance de deuxième ordre peuvent recevoir l'aide d'un troisième groupe présent dans le voisinage.

    Mais il est impossible de prédire, sur la base de leurs relations passées, quels groupes d'alliés vont alors coopérer ; par exemple, deux groupes qui ont été antagonistes peuvent se rassembler dans une alliance de troisième ordre. Les scientifiques décrivent ainsi une socialité complexe entre mâles qu'ils estiment comparable à celle des humains.

    Université de Göttingen
    Université de Göttingen

    Un macaque d'Assam (Macaca assamensis)

    À VOIR AUSSI

    Wikipedia, Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported
    Wikipedia, Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported

    Des grands dauphins de l'océan Indien(Tursiops aduncus).

    POUR EN SAVOIR PLUS

    O. Schülke et al.Social bonds enhance reproductive success in male macaquesCurrent Biology, vol. 20, décembre 2010.

    R.C. Connor et al.A new level of complexity in the male alliance networks of Indian Ocean bottlenose dolphins (Tursiops sp.)Biology Letters, novembre 2010.

    R.C. Connor et al.Two levels of alliance formation among male bottlenose dolphins (Tursiops sp.),PNAS, vol. 89, pp. 987-990, 1992.

    L'AUTEUR

    Jean-Jacques Perrier est journaliste àPour la Science.

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