• Le noyau terrestre : un océan agité

    Une simulation remet en cause notre vision des écoulements qui agitent le noyau liquide de notre planète, où naît le champ magnétique terrestre.

    Guillaume Jacquemont

    Pourquoi la Terre a-t-elle un champ magnétique ? Ce serait dû à un effet dynamo au sein de son noyau liquide, essentiellement constitué de fer et brassé par des mouvements de convection : en effet, dans certaines configurations, les mouvements d'un fluide conducteur engendrent des courants électriques et un champ magnétique qui s'entretiennent mutuellement. On cherche à reconstituer les écoulements à l'origine de cette dynamo terrestre, aussi nommée géodynamo. Takehiro Miyagoshi, de l'Agence japonaise pour les sciences et les technologies de la Terre et de la mer, et ses collègues les ont simulés en utilisant un « fluide numérique » de faible viscosité. Ils ont ainsi mis en évidence des mouvements inattendus au sein du noyau terrestre.

    Un certain consensus régnait depuis quelques années chez les géophysiciens, qui pensaient que la convection s'organisait en colonnes parallèles à l'axe de rotation du noyau. Ce consensus résultait notamment des multiples simulations menées par Ulrich Christensen, de l'Institut Max Planck, en Allemagne, et Julien Aubert, de l'Institut de physique du globe de Paris, qui sont parvenus à recréer des dynamos fluides assez similaires à la géodynamo. En outre, diverses expériences de laboratoire accréditaient cette thèse : Nicolas Gillet et ses collègues de l'Université Joseph Fourier, à Grenoble, ont par exemple observé des colonnes convectives au sein d'une sphère tournante emplie de liquide.

    Les simulations considéraient jusqu'ici des fluides de viscosité supérieure à celle du noyau (qui est approximativement égale à celle de l'eau). Ce paramètre ne semblait cependant pas trop influer sur la forme des écoulements. Les chercheurs japonais ont tout de même examiné ce qui se passe quand on baisse la viscosité du fluide jusqu'aux limites autorisées par les ordinateurs actuels (plus la viscosité est faible, plus la puissance de calcul nécessaire est grande). Et, surprise, les colonnes convectives disparaissent. Plus précisément, la nouvelle simulation prévoit une structure duale : des panaches radiaux partiraient du centre avant d'y retomber, bloqués par des courants longitudinaux qui feraient le tour du noyau dans le sens inverse de sa rotation.

    Ces courants longitudinaux, dits aussi courant zonaux, sont fréquents dans les fluides en rotation. On les observe notamment dans les atmosphères des planètes. Mais on pensait qu'un champ magnétique intense, tel celui créé par la géodynamo à l'intérieur du noyau terrestre, les empêcherait de se former. La simulation des chercheurs japonais constitue donc une double surprise.

    Cette simulation est-elle représentative des phénomènes qui se déroulent dans le noyau ? Personne ne peut le dire aujourd'hui. Les écoulements dépendent d'un certain nombre de paramètres encore mal connus, comme le flux de chaleur à la frontière noyau-manteau et la conductivité thermique du fer dans les conditions thermodynamiques du noyau. En outre, la viscosité et la vitesse de rotation du système simulé sont encore loin de celles du noyau (peu visqueux et rapide), que les ordinateurs actuels sont incapables d'intégrer. Les études à venir nous réservent-elles d'autres rebondissements ?

    Quoi qu'il en soit, les travaux des chercheurs japonais jettent un pavé dans la mare. Il faudra probablement quelques années avant que ne se dégage un nouveau consensus sur les écoulements à l'œuvre dans le noyau terrestre.

    http://www.pourlascience.fr/ewb_pages/a/actualite-le-noyau-terrestre-un-ocean-agite-24793.php


    Le noyau terrestre :  un océan agité
    © T. Miyagoshi et al. / Nature 463

    Selon une nouvelle simulation, la convection dans le noyau terrestre s’organiserait en une structure duale, comme le montre cette vue équatoriale : près du centre, des panaches s’élèvent vers l’extérieur (en rouge) avant de retomber (en vert), tandis qu’à la périphérie règnent des courants longitudinaux (en bleu). La boule blanche au centre est la graine solide (le noyau liquide s'étend entre cette graine et le manteau terrestre).

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    © Delphine Bailly
    La plupart des travaux précédents indiquaient une convection au sein du noyau organisée en colonnes convectives parallèles à l'axe de rotation (les cylindres rose-orangé). Des simulations avaient mis en évidence de tels mouvements et montré qu'ils créaient un champ magnétique dipôlaire assez similaire au champ magnétique terrestre (les lignes de champ sont en bleu). Ce consensus est remis en question.


    T. Miyagoshi et al./ Nature, vol. 463
    La simulation des chercheurs japonais ne révèle aucune colonne convective, mais met en évidence des panaches (en rouge) et des écoulements longitudinaux (en bleu). Les images b et c sont respectivement des agrandissements des régions I et II de l'image a. Les couleurs caractérisent les vitesses, élevées en rouge, intermédiaires en vert et faibles en bleu.

    Pour en savoir plus

    T. Miyagoshi et al., Zonal flow formation in the Earth’s core, Nature, vol. 463, pp. 793-796, 2010.

    Dossier Pour la Science, n°67, « La Terre à cœur ouvert », Avril-Juin 2010 :
    - D. Jault et al., Le moteur de la dynamo terrestre
    - J. Aubert et al., La Terre déboussolée

    L'auteur

    Guillaume Jacquemont est journaliste au magazine Pour la science.

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