• La grande radiation ordovicienne, d'origine cambrienne ?

    On pensait que la plus importante phase de diversification de la vie océanique, il y a quelques 460 millions d'années, s'était déclenchée alors que la plupart des niches écologiques marines étaient vides. Un site de fossiles marocain remet en cause cette hypothèse.

    François Savatier

    La fossilisation fidèle de la morphologie d'un organisme est extrêmement rare. Ce fut le cas il y a 505 millions d'années en un endroit qui fait aujourd'hui partie du Parc national de Yoho, au Canada. Connu pour ses schistes lithographiques dits « de Burgess », du nom d'une montagne voisine, ce site est exceptionnel car il a livré des dizaines d'espèces marines très bien conservées. On pensait que ces fossiles étaient caractéristiques seulement du Cambrien (542 à 488 millions d'années). Or, Peter van Roy de l'Université de Yale et des collègues marocains, britanniques, irlandais et français viennent de retrouver de nombreux organismes proches de ceux de Burgess dans une faune marocaine datant de l'Ordovicien (490-445 millions d'années), ce qui indique une continuité entre les formes de vie de ces deux époques.

    Découverts en 1909, les schistes de Burgess ont livré quelque 80000 spécimens représentant 140 espèces réparties en 119 genres dont 37 pour cent d'arthropodes (crustacés, insectes, etc.). Dans les années 1970, l'étude approfondie de cette faune y a mis en évidence nombre d'organismes aux plans d'organisation différents de ceux de tous les organismes plus récents. On a donc considéré la faune de Burgess comme caractéristique de la vie produite par l'« explosion cambrienne », la très forte bouffée évolutive qui a eu lieu dans les mers il y a 540 millions d'années. Depuis, ces mêmes types d'organismes ont été retrouvés dans d'autres sites du Cambrien, mais on considérait qu'ils avaient pratiquement disparu au-delà du milieu du Cambrien.

    Or, à l'Ordovicien (488 à 444 millions d'années) a lieu la « grande radiation ordovicienne ». Parmi les plus importantes de l'histoire de la vie marine, cette phase de diversification qui se produit vers 460 millions d'années, a vu l'apparition des faunes marines qui perdureront jusqu'à l'extinction massive de la fin du Permien, quelque 210 millions d'années plus tard… Tout semblait donc indiquer que la radiation ordovicienne s'est produite, sans doute sous l'influence des conditions extérieures, dans un biotope marin dont la plupart des niches écologiques étaient vides depuis 30 millions d'années.

    Pas si simple ! Les fossiles du nouveau site marocain, exceptionnellement bien préservés, datent d'un étage de l'Ordovicien inférieur nommé Floien, entre 479 et 472 millions d'années. Cela montre que le passage des faunes cambriennes aux faunes ordoviciennes a été bien plus progressif. Situé dans la vallée de Draa au Sud du Maroc, le site présente un assemblage d'organismes de fonds marins de types cambriens – trilobites, cheloniellides (organismes apparentés aux trilobites), mollusques, échinodermes, éponges…– et un assemblage d'organismes benthiques de types post-cambrien – vers, cirripèdes (balanes et autres « pouce-pieds »…) et limules. Ainsi, il est désormais avéré que les grandes familles d'organismes cambriens ont continué à jouer un rôle majeur dans la vie benthique jusqu'au début de l'Ordovicien. L'histoire de la grande radiation ordovicienne est à  réécrire.

    La grande radiation ordovicienne, d’origine cambrienne ?

    Ci-dessus, deux types d'organismes typiques des faunes ordoviciennes trouvés dans la formation de Fezouata : une limule (à gauche) et un arthropode chéloniellide (à droite). Ci-dessous, deux types d'organismes typiques des faunes cambriennes : un vers annelide (à gauche) et un arthropode marellomorphe(à droite).



    À VOIR AUSSI

    François Savatier/Pour la Science
    Le nombre de familles d'organismes marins a varié avec le temps. Les époques de radiations, caractérisées par une augmentation du nombre de familles, sont clairement séparées par les fossés creusés dans la biodiversité par les extinctions de masse.

    L'AUTEUR

    François Savatier est rédacteur à Pour la Science.

    POUR EN SAVOIR PLUS

    Peter Van Roy et al., Ordovician faunas of Burgess Shale type Nature, vol. 465, pp. 215-218, 13 mai 2010.

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