• « La controverse sur les virus grippaux mutants était injustifiée »


    La controverse autour de la censure de deux articles sur la création d'un virus mutant de la grippe était injustifiée, selon Jean-Claude Manuguerra de l'Institut Pasteur © BigStockPhotos
    D’abord censurés pour des raisons de sécurité, deux articles scientifiques sur la création de virus grippaux mutants ont finalement été acceptés pour publication. Jean-Claude Manuguerra, virologue, responsable de la cellule d’intervention biologique d’urgence de l’Institut Pasteur, revient sur cette polémique.

    Un virus de la grippe mortel, aussi contagieux que celui de la grippe saisonnière : en créant un tel virus en laboratoire fin 2011, deux équipes de virologues ont fait de ce cauchemar de santé publique une réalité. L’Agence américaine de biosécurité a pris les choses très au sérieux, exigeant que les deux articles scientifiques concernés ne soient pas publiés.

    Après des mois de polémique, cette censure a finalement été levée. L’un des articles, fruit des recherches de Yoshihiro Kawaoka de l’université du Wisconsin, a été publié par la revue Nature mercredi 2 mai. Le second, présentant les travaux de Ron Fouchier, du Centre Erasme de Rotterdam, devrait bientôt être mis en ligne par la revue Science

    La Recherche : La création d’un virus de la grippe particulièrement contagieux pour l’homme est détaillée dans un article de Yoshihiro Kawaoka, paru dans la revue Nature. Qu’y apprend-on ? 

    Jean-Claude Manuguerra : L’enseignement principal de cet article est que les virus de type H5N1, responsables de la grippe aviaire, peuvent, à la suite de modifications génétiques, se transmettre aux mammifères. En temps normal, ce virus n’infecte que les oiseaux. Mais en de rares occasions, notamment lorsqu’il mute, il est transmis à l’homme et se révèle particulièrement dangereux. C’est lui qui, en 2006, avait semé la panique dans le monde entier et provoqué l'infection d'une centaine de personnes, dont un peu moins des trois quarts sont décédées. Heureusement, il ne se transmet pratiquement jamais au sein de l’espèce humaine.

    L’équipe de Yoshihiro Kawaoka a travaillé sur ce virus en essayant justement de le rendre transmissible entre mammifères. Grâce à un réassortiment génétique entre cette souche et la souche H1N1, responsable de la grippe humaine pandémique de 2009, le virus acquiert des caractéristiques moléculaires qui facilitent sa pénétration dans les cellules humaines et le rendent beaucoup plus contagieux pour les humains. 

    LR : Sur quoi repose cette capacité de contagion ? 

    JCM : Le virus de la grippe possède à sa surface une protéine, l’hémagglutinine. Celle-ci permet au virus de se fixer sur les cellules des voies aériennes via un récepteur particulier, dont la structure diffère chez les hommes et les oiseaux. La souche H5N1 reconnaît plus facilement les récepteurs présents chez les oiseaux, tandis que la souche H1N1 se fixe préférentiellement sur les récepteurs humains. 

    Le virus mutant H5N1 obtenu par l’équipe de Yoshihiro Kawaoka possède une hémagglutinine qui reconnaît les récepteurs des cellules humaines. Résultat, il infecte beaucoup plus facilement l’être humain comparé à la souche habituelle qui infecte les oiseaux. C’est la seule modification constatée. Sa dangerosité, elle, n’augmente pas. 

    LR : Des terroristes peuvent-ils recréer ce virus mutant en laboratoire à partir de cet article, comme le craignait l’Agence américaine de biosécurité ? 

    JCM : Les choses sont claires : cet article requiert des connaissances et des techniques très poussées et ne s’adresse donc qu’à des virologues spécialistes de la grippe. De deux choses l’une : soit les terroristes ont déjà les connaissances en biologie nécessaires et n’ont donc aucunement besoin de cette publication pour produire ce virus, soit ils ne disposent pas du bagage nécessaire et cet article leur sera parfaitement inutile. Dans les deux cas, on ne peut pas considérer le travail de Yoshihiro Kawaoka comme un livre de recettes destiné à préparer une souche mutante de virus H5N1. 

    LR : Cette polémique sur la publication des articles « sensibles » était-elle donc injustifiée ? 

    JCM : On le saura après avoir pris connaissance des travaux de Ron Fouchier ! Ces derniers ont eux aussi pour objectif de créer un virus grippal mutant, mais reposent sur des approches différentes. A la lecture des seuls résultats de l’équipe de M. Kawaoka, il est évident que les cris d’orfraie étaient injustifiés : bien que plus facilement transmissible, la souche de virus grippal développée chez des furets par cette équipe est moins pathogène que celle qui infecte habituellement les humains. Sans compter que nous disposons déjà de vaccins pour la combattre. Cette controverse aura au moins eu le mérite de rappeler que les questions liant science et société doivent être débattues ouvertement, ce qui a été le cas.

    Propos recueillis par Fabien Goubet

    http://www.larecherche.fr/content/actualite-vie/article?id=31753

    A lire également : 

    Fin de la censure pour les deux articles sur les virus grippaux mutants


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