• La conscience de soi passe par la peau

    Comment percevons-nous les états internes de notre corps ? En partie grâce à la peau et aux zones cérébrales du toucher, selon une étude américaine. De quoi remettre en cause la théorie dominante.

    Eprouver les battements de son coeur, les mouvements de sa respiration, sentir que son corps se réchauffe ou se refroidit : cette expérience de notre milieu interne, appelée intéroception, est à la base de nos émotions et constitue une part de notre conscience. Ces dernières années, plusieurs études d'IRM fonctionnelle ont suggéré que deux zones cérébrales jouaient un rôle essentiel dans cette perception de nos états physiologiques : l'insula, au centre du cerveau et le cortex cingulaire antérieur, situé plus en avant. Une équipe de neurologues américains, pilotée par Sahib Khalsa de l'université de l'Iowa, remet aujourd'hui en question cette théorie. Leurs travaux prouvent en effet qu'il est possible de percevoir nos sensations internes uniquement par la peau et les zones cérébrales associées au toucher, indépendamment de l’insula (1).

    Pour le montrer, les neurologues se sont intéressés au cas de Roger, un patient dont l'insula et le cortex cingulaire antérieur ont été presque totalement détruits par un herpès encéphalique. Ils ont voulu savoir si ce sujet pouvait, malgré ses lésions, percevoir des variations de son rythme cardiaque. Ils lui ont donc administré, ainsi qu'à onze sujets témoins, un médicament qui accroît le rythme cardiaque, en augmentant progressivement les doses. Après chaque prise, les sujets devaient rapporter leurs sensations sur un carnet. Résultat : au fur et à mesure de l'expérience, Roger a senti son coeur s'accélérer, comme les sujets sains, et il s'est même révélé capable de décrire avec précision ses sensations.

    D'où lui provient cette faculté d'intéroception, alors que l’insula et le cortex cingulaire antérieur ne fonctionnent plus ? Les neurologues ont supposé qu'elle dépendait des récepteurs cutanés de la poitrine situés au niveau du coeur, et du cortex somatosensoriel, qui traite les informations captées par la peau. En effet, des études d'IRM fonctionnelle avaient déjà montré que cette aire cérébrale s'activait lors de l'interoception, bien qu'elle eût semblé jouer un rôle secondaire.

    Afin de vérifier cette hypothèse, Sahib Khalsa et ses collègues ont reproduit l'expérience en appliquant au préalable une crème anesthésiante sur la poitrine des sujets, à l'endroit où les sensations cardiaques avaient été les plus intenses. Or, cette fois, Roger n'a perçu aucune variation de son rythme cardiaque, bien que celui-ci se soit en réalité accéléré. En revanche, les sujets sains ont décrit des battements du coeur de plus en plus rapides, comme lors de la première expérience.

    « L'insula est une aire importante pour la conscience corporelle, car elle participe à l'intégration des informations sensorielles, explique Christophe Lopez, de l'école polytechnique fédérale de Lausanne. Cependant, le cas de Roger montre qu'elle n'est pas absolument indispensable pour détecter notre rythme cardiaque, contrairement à ce que l'on pensait jusqu'alors. Il existe en effet une autre voie, parallèle et indépendante : la voie somatosensorielle qui provient des récepteurs de la peau ». Reste à savoir quelle est la fonction spécifique des deux circuits dans la perception de nos sensations internes.

    Jacques Abadie

    http://www.larecherche.fr/content/actualite-Sapiens/article?id=27180

    (1) S. S. Khalsa et al., Nature Neuroscience, 12, 1494, 2009.

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