• L'orang-outan crie, la femelle passe

    Les longs cris de l'orang-outan mâle ne servent pas qu'à indiquer son identité à ses pairs. Ils véhiculeraient aussi des informations sur le contexte dans lequel ils ont été émis. Les femelles, en particulier, adapteraient leur réaction en conséquence.

    Marie-Neige Cordonnier

    Les orangs-outans disposent d'un riche répertoire de sons – vocaux ou non – pour communiquer. Parmi cet éventail, les longs cris sont l'apanage des mâles sexuellement matures. Précédées de grondements et conclues par des gargouillis, ces séries de puissantes vocalisations s'entendent à plus d'un kilomètre à la ronde. En analysant les caractéristiques acoustiques de ces cris chez trois orangs-outans de Bornéo, Brigitte Spillmann et ses collègues, de l'Université de Zurich, ont montré que leur structure temporelle et fréquentielle varie légèrement en fonction du contexte dans lequel ces cris sont émis. Les femelles perçoivent cette modulation, et adaptent leur réaction en conséquence.

    On savait déjà que chaque orang-outan a sa façon propre d'émettre ces longs cris, ce qui permet à ses pairs de l'identifier. On pensait ainsi que ces cris servaient d'une part à éloigner les mâles rivaux et, d'autre part, à attirer les femelles. L'étude des orangs-outans de Bornéo montre que la fonction de ces cris est peut-être plus vaste. Un mâle émet de tels cris plusieurs fois par jour (environ quatre fois le jour, un peu moins la nuit), et dans des situations diverses : il les utilise lorsqu'il est énervé, soit après avoir renversé un arbre mort, pour montrer sa force, soit en réponse à une perturbation issue de son environnement (en particulier la chute d'un arbre suivie du long cri d'un rival). Mais il les utilise aussi spontanément, sans qu'aucun stimulus extérieur n'ait été détecté.

    B. Spillmann et ses collaborateurs ont montré que, chez les trois orangs-outans de Bornéo, le débit d'émission des différentes unités de son composant le cri est plus rapide lorsque l'animal est énervé. Ils ont en outre observé que les femelles réagissent différemment à ces signaux, même lorsqu'elles sont trop loin pour avoir entendu la chute d'un arbre : celles dont les petits sont encore dépendants s'éloignent lorsqu'elles entendent un cri spontané, et ne réagissent pas au cri d'un orang-outan faisant suite à une perturbation environnementale. Les femelles sexuellement disponibles, en revanche, se dirigent vers les longs cris spontanés ; cependant, elles aussi ne réagissent pas aux cris poussés en réponse à une perturbation de l'environnement.

    Selon les chercheurs, les cris en réponse à une perturbation serviraient à éloigner les mâles rivaux ; les femelles sentent alors que le mâle est occupé à cette tâche et ne chercheraient pas à interférer. Les cris émis spontanément serviraient en revanche à attirer les femelles ; toutefois, les mâles bornéens s'accouplant souvent de force, celles ayant des petits à charge préféreraient s'éloigner.

    En décembre dernier, une équipe de l'Université de Rennes a mis en évidence l'existence d'une proto-langue chez la mone de Campbell, une espèce forestière de singes : les mâles combinent six types de cris pour délivrer divers messages. La modulation des longs cris de l'orang-outan bornéen serait-elle aussi une forme de proto-langue ?

    http://www.pourlascience.fr/ewb_pages/a/actualite-l-orang-outan-crie-la-femelle-passe-24750.php

    L’orang-outan crie, la femelle passe
    Shutterstock/Csaba Vanyi

    Un orang-outan de Bornéo.

    Pour en savoir plus

    B. Spillmann et al., Acoustic properties of long calls given by flanged male orang-utans (Pongo Pygmaeus Wormbii) reflect both individual identity and context, Ethology, sous presse.
    K. Ouattara et al., Campbell’s monkeys use affixation to alter call meaning, PLoS ONE, vo. 4, n°11, p. e7808, 2009.
    K. Ouattara et al., Generating meaning with finite means in Campbell’s monkeys, PNAS, vol. 106, n°51, pp. 22026-22031, 2009.
    A. Méguerditchian et J. Vauclair, Aux origines du langage, Cerveau&Psycho, n°17, 2006.

    L'auteur

    Marie-Neige Cordonnier est journaliste à Pour la science.

  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :