• Il y a de l'eau sur la Lune

    Des observations en infrarouge révèlent que de l'eau est présente en petites quantités à la surface de la Lune.
    Philippe Ribeau-Gésippe
    La Lune, un paysage désertique de poussière et de roches, dépourvu de la moindre goutte d'eau. C'est l'image qui prévaut depuis que les premières missions Apollo ont rapporté des échantillons de roches lunaires à la fin des années 1960. Un tableau aujourd'hui à revoir : des observations en infrarouge réalisées par trois sondes spatiales montrent de façon indépendante et sans ambiguïté que de l'eau et des radicaux hydroxyles (OH) sont présents en petites quantités à la surface de notre satellite.

    Selon le scénario généralement admis, la Lune est née d'une colossale collision entre la Terre et un corps de la taille de Mars. Les éléments volatils, dont l'eau, auraient été évaporés lors de l'impact. De fait, les échantillons des missions Apollo semblent confirmer cette hypothèse, puisqu'ils sont quasiment dépourvus de traces d'eau. En 2008, une nouvelle analyse avait certes mis en évidence des quantités infimes d'eau dans les minéraux lunaires, mais cela ne concernait que certains d'entre eux, provenant de l'intérieur de la Lune, et non de sa surface.

    Pourtant, trois équipes viennent d'annoncer de façon indépendante la détection d'eau à la surface de la Lune. Jessica Sunshine, de l'Université du Maryland, Olivier Groussin, du Laboratoire d'astrophysique de Marseille, et leurs collègues ont utilisé pour ce faire le spectromètre de la sonde américaine EPOXI, prolongement de la mission Deep impact en route vers la comète 103P/Hartley 2 et passée à seulement six millions de kilomètres de la Lune en juin dernier. L'équipe de Carle Pieters, de l'Université Brown, a quant à elle exploité l'instrument M3 de la mission indienne Chandrayaan 1 ; enfin, Roger Clark, du Bureau géologique américain, a tiré parti des données l'instrument VIMS de la mission Cassini-Huygens.

    Les trois spectromètres ont inspecté la surface lunaire à des longueurs d'onde proches de trois micromètres, où se révèlent les bandes d'absorption caractéristiques des molécules d'eau. Cette longueur d'onde correspond en effet à l'énergie de vibration de la molécule d'eau et du radical OH.

    Ces bandes d'absorption ont bien été détectées, signant sans ambiguïté la présence d'eau à la surface de la Lune. Cette détection en apparence simple n'avait jamais été réalisée, car les instruments de la plupart des sondes spatiales qui quittent la Terre sont contaminés par de l'eau, ce qui empêche sa détection. Cette observation est également impossible depuis le sol, car l'atmosphère, saturée en eau, est opaque à trois micromètres de longueur d'onde.

    La précieuse molécule serait présente en faibles quantités sur presque toute la surface de la Lune, aux latitudes supérieures à dix degrés. La bande d'absorption est plus marquée à mesure que l'on s'approche des pôles. C. Pieters et ses collègues ont montré que, même en tenant compte d'un biais naturel, car l'amplitude de l'absorption dépend en partie de la température, il existe bien un excès résiduel indiquant que la concentration en eau augmente à mesure qu'on progresse vers les pôles.

    J. Sunshine et ses collègues ont pour leur part estimé que l'eau représenterait moins de 0,5 pour cent de la masse des matériaux en surface (dans le premier millimètre d'épaisseur), soit 0,5 litre pour une surface équivalente à un terrain de football. De surcroît, cette équipe a mis en évidence une variabilité de la quantité d'eau au cours du « jour lunaire » : elle est maximale le matin et le soir, quand le Soleil est bas sur l'horizon lunaire, et minimale, voire nulle, le midi, quand le Soleil est haut dans le ciel.

    Enfin, C. Pieters et son équipe ont également mis en évidence des variations spatiales de la concentration en eau, liées à des caractéristiques géologiques, en particulier aux zones riches en feldspath plagioclase. Ces variations pourraient être liées aux traces d'eau découvertes à l'intérieur de la Lune.

    Pour autant, pas la peine d'imaginer des mares et autres lacs à la surface de la Lune. Cette eau est adsorbée sur la poussière de la surface lunaire (chaque molécule d'eau est faiblement arrimée par les forces de Van der Waals à la surface des grains). Les molécules d'eau peuvent donc facilement être arrachées de leur support, par exemple quand la température s'élève avec l'ensoleillement. Une volatilité qui explique sans doute que leur concentration varie au cours d'un jour lunaire.

    D'où vient cette eau ? La piste privilégiée est celle du vent solaire. L'interaction des ions hydrogène H+ du vent solaire (un flot de particules chargées émis en permanence par le Soleil) avec les minéraux lunaires riches en oxygène entraînerait la formation de molécules H2O et OH. Une autre source potentielle est l'apport d'eau par les impacts continus de poussières et de micro-météorites. Un apport ponctuel et massif d'eau par des comètes ou de grands astéroïdes est peu plausible, car l'eau observée est renouvelée de façon continue.

    Quelle que soit la source de cette eau, reste à expliquer l'absence de presque toute trace d'eau dans les échantillons des missions Apollo. Les sites d'atterrissage étaient probablement arides, car situés près de l'équateur. Par ailleurs, les échantillons nous renseignent plus sur la composition intérieure de la Lune que sur sa surface.

    Quelles sont les conséquences de cette découverte ? La présence d'eau relance l'espoir de trouver des réservoirs d'eau dans les cratères des pôles lunaires. En effet, l'axe de rotation de la Lune ayant une inclinaison très faible, de nombreux cratères polaires sont plongés dans une ombre éternelle. De la glace d'eau pourrait y être restée piégée, à l'abri de la lumière solaire. Plusieurs expériences ont été tentées de rechercher de l'eau au fond des cratères polaires, jusqu'ici sans succès. Le 9 octobre prochain, la mission LCROSS (Lunar Crater Observation et Sensing Satellite) tentera de détecter l'eau en faisant s'écraser un engin spatial dans un cratère polaire pour éjecter du matériau lunaire vers le ciel, où la lumière du Soleil permettra de l'analyser.

    Du point de vue de l'exploration spatiale habitée, en revanche, cette découverte est à relativiser : la quantité d'eau à la surface lunaire est insuffisante pour une exploitation à des fins humaines dans le cadre de vols habités.
    http://www.pourlascience.fr/ewb_pages/a/actualite-il-y-a-de-l-eau-sur-la-lune-23475.php

    Il y a de l’eau sur la Lune

    à voir aussi


    La distribution de l'eau (en bleu) et de l'hydroxyle (en orange) observée à la surface de la Lune par l'instrument VIMS de la sonde Cassini-Huygens.
    NASA
    L'eau est plus abondante près des pôles de la Lune (régions bleues), comme le montre cette image prise par la sonde Chandrayaan-1.
    © Université du Maryland/F.Merlin/McREL
    Le vent solaire pourrait être à l’origine de l’eau présente à la surface de la Lune. Durant le jour lunaire, les ions hydrogène du vent solaire libèreraient l'oxygène des minéraux lunaires pour former des molécules d’eau et d’hydroxyle. À l’équateur, où la température est élevée (zones rouge et jaune), une proportion importante de ces molécules d’eau se volatilise. En revanche, aux hautes latitudes (zones verte et bleue), où la température est plus basse, les molécules d’eau s'accumulent en surface.
    © Université du Maryland/O. Groussin/McREL.
    Le cycle diurne d'hydratation et de déshydratation de la surface lunaire. Le matin, la surface, froide, accueille des molécules d'eau adsorbées. À midi, lorsque la surface est plus chaude, ces molécules d'eau sont libérées. Le soir, la surface refroidit et regagne en eau. Toute la surface de la Lune est donc hydratée pendant une partie du jour lunaire.

    L'auteur

    Philippe Ribeau-Gésippe est journaliste à Pour la Science.

    Pour en savoir plus

    - J. Sunshine, O. Groussin et al., Temporal and spatial variability of adsorbed OH/H2O on the Moon as observed by the Deep Impact spacecraft, Science, en ligne, 24 septembre 2009.


    - R. Clark, Detection of adsorbed water and hydroxyl on the Moon, Science, en ligne, 24 septembre 2009.

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