• Être « nez » : un art qui se cultive

    Avoir un odorat aussi sensible que Grenouille, le héros du Parfum de Patrick Süskind ? C'est possible, à condition de s'entraîner.

    Marie-Neige Cordonnier

    C'était des dizaines, des centaines de milliers d'odeurs spécifiques qu'il avait collectionnées et qu'il avait à sa disposition, avec tant de précision et d'aisance que non seulement il se les rappelait quand il les sentait à nouveau, mais qu'il les sentait effectivement lorsqu'il se les rappelait ; plus encore, il était capable, par la seule imagination, de les combiner entre elles de façons nouvelles, si bien qu'il créait en lui des odeurs qui n'existaient pas du tout dans le monde réel.

    Le parfum, Patrick Süskind

    Les mots aldéhyde C11, alpha-damascone, dihydromyrcénol ou bêta-ionone vous évoquent-ils quelque chose ? Pour les quelque 500 « nez » parfumeurs du monde, ils correspondent à... des odeurs : à leur évocation, ces experts disent sentir instantanément le parfum de chacun de ces produits chimiques, même en leur absence. Au point, pour certains, de les combiner mentalement et d'aboutir à de nouvelles fragrances, à l'instar de Jean-Baptiste Grenouille, le héros du roman de Patrick Süskind. Info ou intox ?

    En comparant l'activité cérébrale de ces experts de l'odorat et d'apprentis parfumeurs, des chercheurs du Centre de recherche de neurosciences de Lyon (CNRS, UMR 5292 /Université de Lyon) et de l'Institut des neurosciences de Grenoble (INSERM U836/Université Joseph Fourier) ont montré que non seulement les parfumeurs reconstituent bien mentalement une senteur à son évocation, mais que cette capacité n'est pas innée : elle est le fruit d'un apprentissage et d'un entraînement.

    Jane Plailly, Chantal Delon-Martin et Jean-Pierre Royet ont observé par imagerie par résonance magnétique fonctionnelle 14 experts et 14 étudiants de l'école de parfumerie de Versailles à qui ils avaient demandé d'imaginer l'odeur de 20 produits chimiques successifs dont le nom s'affichait sur un écran. Ces substances sont les plus communes parmi les quelque 300 dont les étudiants apprennent à reconnaître le parfum durant leur formation. Les chercheurs ont ainsi constaté que chez chacun des participants, la représentation mentale d'une substance odorante active le cortex olfactif primaire – le cortex piriforme –, une zone cérébrale d'ordinaire stimulée lors de la perception d'une odeur. En quelque sorte, tout se passe comme si les parfumeurs sentaient réellement l'odeur des substances imaginées.

    En outre, plus un parfumeur est expert, moins certaines régions cérébrales impliquées dans l'olfaction (le cortex piriforme et le cortex orbitofrontal olfactif) et la mémoire (l'hippocampe) sont activées, et ce quel que soit son âge, alors qu'elles s'activent normalement lorsqu'il sent réellement une odeur : en s'entraînant à reconnaître des odeurs, les professionnels aguerris développent une telle capacité à les imaginer que leur représentation ne nécessite plus la même mobilisation cérébrale que chez un professionnel débutant.

    Ces travaux rejoignent ceux réalisés sur des experts ayant développé des capacités auditives ou motrices exceptionnelles, tels les musiciens professionnels ou les athlètes : chez ces experts, les performances sont liées à une activation des régions cérébrales concernées différente de celle observée chez un débutant. Si le talent est inné, l'expertise se cultive.

    http://www.pourlascience.fr/ewb_pages/a/actualite-etre-nez-un-art-qui-se-cultive-26696.php

    © Shutterstock / rebvt
    © Shutterstock / rebvt

    POUR EN SAVOIR PLUS

    J. Plailly et al.Experience induces functional reorganization in brain regions involved in odor imagery in perfumersHumain Brain Mapping, doi: 10.1002/hbm.21207, prépublication en ligne, 9 mars 2011.

    L'AUTEUR

    Marie-Neige Cordonnier est journaliste à Pour la Science.

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