Le débit d'un courant froid de l'océan Austral, une sorte de rivière sous-marine à 3 000 mètres de profondeur, serait beaucoup plus important que prévu. Son rôle sur la circulation océanique globale reste à évaluer. Dans les régions polaires, les océans sont parcourus de courants froids profonds qui remontent vers l'équateur. Yasushi Fukamachi, Steve Rintoul et leurs collègues de l'Université d'Hokkaido, au Japon, et du Centre de recherche sur le climat et les écosystèmes antarctiques, à Hobart, en Australie, ont découvert que l'un d'eux, au Sud de l'océan Indien, présente le débit le plus élevé jamais mesuré à 3 500 mètres de profondeur. Durant les deux dernières décennies, les scientifiques ont effectué des mesures sur l'« Eau antarctique de fond » (AABW, Antarctic bottom water), un déplacement d'eau à une température proche de 0 °C qui remonte vers le Nord à plus de 2 000 mètres de profondeur. Ces mesures indiquent une circulation via deux courants profonds (ou DWBC, deep western boundary currents). Le premier remonte de la mer de Weddell, dans l'Atlantique sud, jusqu'au large du Brésil ; le second courant part de la mer de Ross, dans la partie Pacifique de l'océan Austral, passe au large de la Terre Adélie, dans l'océan Indien austral, puis continue son chemin le long du plateau des Kerguelen, une vaste formation volcanique sous-marine située au Nord du continent Antarctique, à 4 200 kilomètres au Sud-Ouest de l'Australie. Ce courant des Kerguelen a été mis en évidence en 1994 par Kevin Speer et Andrew Forbes, de l'Agence australienne de la recherche (CSIRO). En 1999, l'équipe de Kathleen Donohue, de l'Université d'Hawaii, et de Michael McCartney, de la Woods Hole Oceanographic Institution, dans le Massachusetts, avait réalisé une première estimation de sa vitesse et de son débit. Pour obtenir des séries de mesures au cours du temps et, ainsi, un débit moyen, le groupe australo-japonais de Y. Fukamachi et S. Rintoul a mis en place entre février 2003 et janvier 2005, à partir du bateau d'exploration Aurora Australis, huit lignes de mouillage portant des courantomètres (appareils qui mesurent la vitesse de l'écoulement) et des instruments de mesure de la température et de la salinité, le tout réparti sur 175 kilomètres à l'Est du plateau des Kerguelen. Ces mesures montrent que le courant profond des Kerguelen est au moins aussi puissant — et sans doute davantage — que celui qui naît dans la mer de Weddell et qu'il fluctue peu au cours du temps. À 75 kilomètres du bord du plateau, son débit moyen est de 12,3 sverdrups (millions de mètres cubes par seconde), avec une vitesse moyenne de 20 centimètres par seconde, sur une largeur de seulement 50 kilomètres. Près de la moitié du courant repartant vers le Sud, le débit moyen net est estimé à 8 sverdrups, soit quatre fois plus que celui du courant de Weddell dans l'Atlantique Sud. Les chercheurs relativisent cependant cette différence, compte tenu des imprécisions des mesures effectuées dans l'Atlantique Sud, qui datent de 1991. Les courants d'origine polaire participent à la circulation océanique globale qui relie tous les océans du globe. Ils contribuent à les refroidir et, ainsi, à réguler le climat terrestre. Pour l'heure, on ignore le rôle exact du courant des Kerguelen. Il dépend notamment de sa capacité à se mélanger au Courant circumpolaire antarctique ou à le traverser. Ce dernier, le plus puissant des courants océaniques, brasse plus de 100 millions de mètres cubes d'eaux froides par seconde d'Ouest en Est dans l'océan Austral. |
![]() |
![]() ![]() Kurtis Burmeister, National Science Foundation
Au large de l'Antarctique, des eaux salées et froides (d'une température proche de 0 °C) et denses (l'eau froide étant plus dense que l'eau tiède) plongent le long du plateau continental et alimentent des courants froids profonds. à voir aussi![]() National Geophysical Data Center
Situation du plateau des Kerguelen (ovale blanc) dans l'océan Indien austral.
![]() CSIRO
Le courant profond des Kerguelen (en gris) est créé par la plongée d'eaux froides en mer de Ross et au large de la Terre Adélie. Il longe le plateau des Kerguelen à l'Est. Une moitié effectue une boucle vers le pôle Sud tandis que l'autre continue sa route vers le Nord.
![]() NASA
Le courant circumpolaire antarctique (en bleu) est le plus puissant courant marin de la Terre, avec un débit de plus de 100 sverdrups (millions de mètres cubes par seconde). Faisant tout le tour de l'océan Austral le long du continent Antarctique, il relie d'Ouest en Est les parties australes de l'océan Atlantique, de l'océan Indien et de l'océan Pacifique. Il est possible que le courant des Kerguelen l'alimente.
Pour en savoir plusY. Fukamachi et al., Strong export of Antarctic Bottom Water east of the Kerguelen plateau, Nature Geoscience, prépublication en ligne, 25 avril 2010.
L'auteurJean-Jacques Perrier est journaliste à Pour la Science.
|