Syngnathus scovelli, un petit poisson des mers chaudes, n'hésite pas à sacrifier les œufs dont il a la garde s'il juge leur mère trop maigre. Avec une moue de dédain, le père regarda une dernière fois son ventre rond, avant d'en aspirer le contenu. La mère des œufs qu'il renfermait était vraiment trop malingre. Il n'allait tout de même pas s'épuiser à porter, nourrir et choyer la semence de cette pauvresse alors que la femelle de ses rêves, si belle et opulente, pouvait croiser sa route d'un instant à l'autre ! Pour elle, il était prêt à tout. Sans regret, il avalait la progéniture sacrifiée, sentant déjà une nouvelle énergie l'envahir. Oui, il serait le meilleur. Elle n'aurait d'autre choix que de lui confier ses œufs. Et à ceux-là, il donnerait tout... Si toute ressemblance avec des personnes ayant existé est purement fortuite, ce scénario constituerait en revanche, selon des biologistes de l'Université Texas A&M, le quotidien des mâles Syngnathus scovelli. Les syngnathes, famille de poissons qui comprend notamment les hippocampes, sont les seuls animaux connus dont le mâle est « enceint ». Celui-ci possède une poche ventrale qui lui permet, pendant la gestation (environ deux semaines), de nourrir et protéger les œufs produits par la femelle. À l'inverse, il peut aussi puiser des ressources dans les œufs qu'il élève : des chercheurs suédois viennent de montrer, chez une espèce voisine des syngnathes, que des acides aminés provenant des œufs peuvent traverser la poche et se retrouver dans les muscles du mâle. En étudiant l'incidence d'une première gestation sur une seconde chez 22 mâles Syngnathus scovelli, les chercheurs texans ont observé, d'une part que les mâles préfèrent les grosses femelles et, d'autre part, qu'ils délaissent d'autant plus leur première progéniture que la mère est petite. Dans ce cas, la plupart des œufs ne survivent pas et la gestation est raccourcie ; prêt pour une nouvelle aventure, le mâle s'occupe alors d'autant mieux de sa seconde progéniture que la mère est grosse. En revanche, les mâles qui se sont d'emblée accouplés avec une grosse femelle s'occupent très bien de leur première progéniture, au détriment de la seconde. Selon les auteurs, ce contrôle avant et après l'accouplement permettrait au mâle de favoriser son croisement avec les meilleures femelles et la pérennité de leur progéniture. Brrr, et ce n'est pas un poisson d'avril... http://www.pourlascience.fr/ewb_pages/a/actualite-petit-poisson-prefere-les-grosses-24797.php |
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Un syngnathe mâle de la mer Rouge (genre Corythoichthys). Comme leur cousin Syngnathus scovelli, les mâles Corythoichthys gèrent la gestation des œufs. On distingue ici la poche ventrale du mâle, où la femelle dépose ses œufs lors de l’accouplement. Pour en savoir plusK. A. Paczolt et A.G. Jones, Post-copulatory sexual selection and sexual conflict in the evolution of male pregnangy, Nature, vol. 464, pp. 401-404, 2010.
A. Berglund, Pregnant fathers in charge, Nature, vol. 464, pp. 364-365, 2010.
G. Sagebakken et al., Brooding fathers, not siblings, take up nutrients from embryos, Proc. R. Soc. Lond. B., vol. 277, pp. 971-977, 2010.
L'auteurMarie-Neige Cordonnier est journaliste à Pour la Science.
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