Il récompense cette année des travaux sur les télomères – les extrémités des chromosomes indispensables à leur intégrité – et sur l'enzyme télomérase, qui veille à la longévité de ces télomères.
Loïc ManginElizabeth Blackburn, professeur de biologie à l'Université de Californie, à San Francisco, Carol Greider, professeur de biologie moléculaire à l'Université Johns Hopkins, à Baltimore et Jack Szostak, professeur de génétique à l'École de médecine de l'Université Harvard, à Cambridge se sont vus décerner, à parts égales, le prix Nobel de médecine 2009 pour leurs travaux sur « la façon dont les chromosomes sont protégés par les télomères et l'enzyme télomérase ». De quoi s'agit-il ? Les télomères sont les extrémités des chromosomes, ces éléments du noyau des cellules où est enroulé, de façon compacte, l'ADN. Ils ont été identifiés au début des années 1930 par Hermann Muller et Barbara McClintock, ces deux biologistes suspectant ces télomères, d'une part, d'empêcher les chromosomes de se coller les uns aux autres et, d'autre part, de les protéger. Plus tard, à la fin des années 1970, E. Blackburn, découvrit que les télomères sont constitués d'une répétition d'un motif unique de séquences (CCCCAA), le C désignant la cytosine et le A l'adénine, deux des quatre molécules de l'alphabet de nos gènes. En 1982, avec J. Szostak, E. Blackburn montra que ces répétitions protègent de la dégradation des petits chromosomes artificiels introduits dans des cellules de levure, ces minichromosomes étant détruits quand ils en sont dépourvus. Les télomères sont donc indispensables à la pérennité des chromosomes. Ensuite, on découvrit des télomères dans l'ensemble du règne du vivant. Cependant, restait à comprendre comment ils sont conservés au cours des divisions cellulaires. En effet, lors de ce processus, la réplication de l'ADN par les enzymes (des ADN polymérases) est toujours incomplet : l'extrémité des chromosomes - les télomères - est « rognée » à chaque fois. Comment dès lors veiller à leur intégrité ? C'est le rôle de l'enzyme télomérase, découverte par C. Greider et E. Blackburn en 1984, le jour de Noël.
La télomérase est constituée de deux sous-unités. L'une, notée TERC, est un ARN de plusieurs centaines de nucléotides de longueur dont quelques-uns composent la matrice, c'est-à-dire le modèle, qui permet la synthèse du motif télomérique CCCCAA. L'autre sous-unité, notée TERT, est protéique : par son activité enzymatique, elle favorise la synthèse de la séquence télomérique en utilisant la matrice d'ARN de l'autre sous-unité. En se plaçant à l'extrémité du chromosome, la télomérase reconstruit nucléotide après nucléotide le fragment qui a été tronqué lors de la réplication de l'ADN. Ainsi, à chaque cycle cellulaire, l'enzyme allonge les télomères diminués et prolonge leur durée de vie. En étudiant de plus près le rôle des télomères, J. Szostak révéla qu'ils jouent un rôle dans le vieillissement cellulaire, la sénescence. En effet, la télomérase est très active dans les cellules germinales (qui produisent spermatozoïdes et ovules) et dans l'embryon. À l'inverse, dans les autres cellules, dites somatiques, la télomérase est peu active, voire pas du tout. En conséquence, à mesure que ces cellules somatiques se divisent, leurs télomères raccourcissent peu à peu jusqu'à condamner à mort les cellules par apoptose. Les cellules doivent donc leur longévité aux télomères et à la télomérase ! Toutefois, la télomérase est aussi très active dans les cellules cancéreuses et contribue de la sorte à leur prolifération et à les rendre immortelles. Plusieurs biologistes voient dans l'enzyme une cible de choix pour la mise au point de traitements anticancéreux. Ainsi, le comité Nobel récompense cette année des travaux qui éclairent le fonctionnement des cellules et les mécanismes de certaines maladies, mais qui en outre offrent des pistes thérapeutiques. http://www.pourlascience.fr/ewb_pages/a/actualite-le-prix-nobel-de-medecine-2009-23512.php |
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![]() ![]() © A. Röhl/The Nobel Committee
Les télomères (en orange) sont les extrémités des chromosomes (en bleu). Ils sont consitués de la répétition d'un motif unique CCCCAA (en vert). à voir aussi![]() © A. Röhl/The Nobel Committee
Sans télomérase (à gauche), les chromosomes sont raccourcis à chaque division cellulaire jusqu'à l'érosion complète des télomères (en jaune). Les chromosomes sont alors endommagés et la cellule meurt par apoptose. En revanche, avec la télomérase (à droite), les télomères sont maintenus entier.
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La télomérase, constituée d'une partie protéique (en gris) et d'un ARN (en violet), complète l'extrémité des chromosomes après chaque cycle de réplication grâce à un fragment de l'ARN qui sert de matrice : le télomère est ainsi rétabli nucléotide par nucléotide.
![]() © Gerbill / Harvard Medical School
Les trois lauréats (de gauche à droite) : Elizabeth Blackburn, Carol Greider et Jack Szostak. L'auteurLoïc Mangin est rédacteur en chef adjoint à Pour la Science.
Pour en savoir plusQuelques articles fondateurs :
- J. Szostak et al., Cloning yeast telomeres on linear plasmid vectors, in Cell, vol. 29, pp. 245-255, 1982.
- C. Greider et al., Identification of a specific telomere terminal transferase activity in Tetrahymena extracts, in Cell, vol. 43, pp. 405-413, 1985.
- C. Greider et al., A telomeric sequence in the RNA of Tetrahymena telomerase required for telomere repeat synthesis, in Nature, vol. 337, pp. 331-337, 1989.
À voir dans Pour la Science, les articles des lauréats :
- Télomères, télomérase et cancer, par Elizabeth Blackburn et Carol Greider, Pour la Science, n° 222, avril 1996. (Télécharger gratuitement le pdf).
- Les chromosomes artificiels, par Andrew Murray et Jack Szostak, Pour la Science, n° 123, janvier 1988.
et aussi :
- Les ARN sur tous les fronts, par Jean-Pierre Bachellerie et Jérôme Cavaillé, Dossier Pour la Science n° 46, 2005.
- L'imbroglio génétique du cancer, par Wayt Gibbs, Dossier Pour la Science, n° 46, 2005.
Les laboratoires des trois lauréats :
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