Questions à Catherine Dulac, chercheuse en biologie à l'université de Harvard et au Howard Hugues Medical Institute, à Cambridge.
Selon qu'il provient de notre père ou de notre mère, un gène peut être actif ou pas. Vous venez de découvrir qu'un grand nombre de gènes sont soumis à cette "empreinte parentale" [1].
C.D. En effet, jusqu'à présent, nous ne connaissions chez la souris qu'une centaine de gènes soumis à ce phénomène appelé empreinte parentale : un seul des deux exemplaires du gène s'exprime, l'autre reste silencieux, comme s'il était absent. Cet événement est réversible à la génération suivante. Chez l'homme, cela peut conduire à des maladies génétiques. Par exemple, le syndrome de Prader-Willi, qui se traduit en particulier par une taille réduite et des retards mentaux, est dû à une mutation sur un chromosome paternel qui n'est pas suppléée par la copie maternelle, silencieuse. On pensait que ce mode de régulation de l'expression des gènes des plantes à fleurs et des mammifères était peu utilisé dans l'organisme. Or, nous venons de découvrir chez la souris que, rien que dans le cerveau, 1300 gènes sont soumis à empreinte parentale, ce qui est incroyablement important.
Comment avez-vous caractérisé tous ces gènes ?
C.D. Nous avons croisé des mâles et des femelles au profil génétique très différent pour pouvoir différencier l'origine parentale des gènes à leur progéniture. Nous avons séquencé tous les ARN codés par les gènes qui s'expriment dans le cerveau des embryons et des adultes chez cette dernière. Cela nous a permis de distinguer les ARN exprimés par les deux copies du gène de ceux exprimés par un seul exemplaire. Comme nous connaissons l'origine parentale de chaque ARN, nous avons pu identifier ceux dont le gène est soumis à empreinte parentale.
Y a-t-il un côté parental qui s'exprime plus que l'autre ?
C.D.Nous avons découvert que, chez l'embryon, ce sont les gènes d'origine maternelle qui s'expriment de préférence. Alors que dans l'hypothalamus et le cortex d'adultes, ceux d'origine paternelle sont majoritaires. Et curieusement, ce ne sont pas les mêmes gènes à empreinte parentale qui s'expriment chez l'embryon et chez l'adulte, alors qu'en général l'empreinte parentale se maintient tout au long de la vie. Cela montre que, dans le cerveau, la phénomène est dynamique et régulé.
Quelles sont les fonctions de ces gènes dans le cerveau ?
C.D. Nous savons déjà que chez l'embryon, les gènes qui s'expriment sont surtout des gènes liés au métabolisme qui contribuent à la croissance du cerveau. Chez l'adulte, ce sont des gènes de protéines membranaires qui, très certainement, participent à l'élaboration du réseau neuronal. Nous n'en savons guère plus. Nous sommes en train d'identifier le rôle exact de tous ces gènes, et cela risque d'être très long.
Propos recueillis par Olivier Donnars
[1] C. Gregg et al., Science, doi:10.1126/science.1190830,
http://www.larecherche.fr/content/actualite-vie/article?id=28314