«Création contre évolution ?» C'est le thème du
colloque organisé le week-end des 24 et 25 mars par les scientifiques
chrétiens du réseau Blaise-Pascal
«En choisissant, il y a
deux ans, le thème de notre prochain colloque, nous avons eu le nez
creux», reconnaît Philippe Deterre. Scientifique et prêtre de la
Mission de France, l'homme est aussi responsable de l'animation du
réseau Blaise-Pascal, qui organise ce week-end un colloque «Création
contre évolution ?».
«Nous avions déjà évoqué la question du
créationnisme dans des rencontres précédentes, et nous voulions
simplement faire le point sur la question du dialogue entre science et
foi chrétienne. Mais des événements récents nous ont montré que nous
étions bien dans le sens de l'actualité.»
Durant l'été 2005, par
exemple, le cardinal autrichien Christoph Schönborn proposait, dans un
article retentissant du New York Times, de rouvrir le débat sur la
portée réelle de la théorie darwinienne et de son accueil par les
chrétiens. Un an plus tard, Benoît XVI convoquait un séminaire de
réflexion sur les rapports entre créationnisme et évolutionnisme.

L'Intelligent Design

En
France, ce sont les débats autour de l'Intelligent Design («le dessein
intelligent») qui ont agité la communauté scientifique (lire
La Croix
du 8 novembre 2005). Ce mouvement, apparu il y a une quinzaine d'années
aux États-Unis, revendique une démarche purement scientifique pour
dénoncer le matérialisme exclusif de certains évolutionnistes radicaux.
Un documentaire, diffusé sur
Arte
en novembre 2005, va cristalliser les oppositions : il rend compte des
travaux de la paléoanthropologue Anne Dambricourt-Malassé, qui suggère
l'existence d'une certaine orientation interne dans l'évolution du
vivant.
Une telle perspective va à l'encontre de la théorie
darwinienne, qui ne revendique que hasard et sélection naturelle comme
agents. Du coup, des pétitions enflammées vont se succéder jusqu'au
printemps 2006, opposant scientifiques matérialistes et spiritualistes.
Dernier
épisode en date, dans ce débat déjà houleux : au cours du mois de
février dernier, de nombreuses écoles et universités reçoivent un
ouvrage imposant, cherchant à démontrer que l'évolution des espèces n'a
jamais eu lieu (lire
La Croix du 6 février).
Le livre ne fait que reprendre les thèses classiques créationnistes,
telles qu'on peut les rencontrer dans certains milieux fondamentalistes
américains. À une différence près : ce créationnisme-là affiche une
référence explicite au Coran, comme le souligne l'auteur turc de
l'ouvrage.

Mélange des genres

Ces
différents épisodes mettent en évidence un déplacement des lignes, dans
un débat qui semblait avoir trouvé, en France du moins, un point
d'équilibre autour d'une certaine conception de la laïcité bien
assumée.
Par ailleurs, la tradition d'une présence, même
symbolique, de prêtres engagés dans le travail scientifique, tel l'abbé
Breuil ou le P. Teilhard de Chardin, témoignait depuis des décennies
qu'un dialogue serein était possible entre des approches
épistémologiques différentes.
Pour Hervé Le Guyader, enseignant
en biologie à l'université de Paris VI, la difficulté qui resurgit
aujourd'hui repose sur un mélange des genres. Un mélange qu'alimente le
caractère passionnel des débats.
«La science est laïque, au
sens propre du terme, explique celui qui a été chargé le mois dernier
par le ministère de l'éducation de répondre à l'ouvrage créationniste
musulman diffusé dans les écoles. Ce n'est que secondairement que les
résultats scientifiques peuvent être interprétés selon des approches
différentes.»
Cette distinction n'ôte rien à la prétention à
la vérité des différents acteurs du débat. «Mais il faut simplement
comprendre que le concept même de vérité n'est pas le même en science
et en théologie.» Une nuance que créationnistes d'une part et
scientistes d'autre part ne font pas.
Philippe Deterre souligne
lui aussi le manque de culture scientifique qui entretient ces
oppositions. Mais pour lui, ce qui est surtout en jeu, c'est le rôle de
la science dans une société en profonde mutation.

Malaise identitaire

La
contestation de la théorie de l'évolution peut ainsi cacher d'abord un
malaise identitaire. «La perte de la visibilité de l'Église dans la
société, du côté chrétien, ou le manque de repères identitaires de
jeunes musulmans français peuvent mener aux mêmes attitudes de
contestation de la société et de son paravent scientifique», analyse le
prêtre de la Mission de France.
Réfléchir sur les enjeux
scientifiques et théologiques de la théorie de l'évolution nécessite
donc de ne pas se tromper de débat. «Il nous faut penser en termes de
"réponses" et non pas de "ripostes"», confirme le P. Jacques Arnould,
qui a étudié les milieux créationnistes dans son dernier ouvrage (1).
Le
théologien dominicain y souligne le besoin urgent de lieux permettant
un dialogue serein et argumenté entre théologiens et scientifiques,
notamment sur les questions de finalité et de nature qui sont au cœur
du débat au bout du compte :
«Le créationnisme et la théorie de
l'Intelligent Design reposent souvent ces questions anciennes qu'il est
nécessaire de se réapproprier de manière nouvelle. Ces approches sont
donc intéressantes, mais seulement dans la mesure où elles posent des
questions, pas plus.»
Ces questions sont également travaillées
du côté de l'épiscopat. Selon le P. Jacques Turck, du Service national
des évêques de France pour les questions sociales, un atelier sur les
questions touchant à la Création doit se mettre en place prochainement.
«Il est urgent de donner accès à des travaux suffisamment précis pour
que chacun dans son domaine de compétence puisse se faire une idée
sereine des enjeux du débat », souligne Philippe Deterre.
DOMINIQUE LANGhttp://www.la-croix.com/article/index.jsp?docId=2298154&rubId=5547 (1) Dieu versus Darwin. Les créationnistes vont-ils triompher de la science ?
Albin Michel, 2007 (lire La Croix du 30 janvier).