• Quand le souffle des volcans génère l’oxygénation de l’atmosphère primitive

    Une étude thermodynamique permet à une équipe de chercheurs français de l'Institut des Sciences de la Terre d’Orléans (CNRS-INSU/Université d’Orléans/Université de Tours) et d'ISTerre (CNRS-INSU/Université Joseph Fourier de Grenoble) de résoudre le scénario de l’oxygénation de l’atmosphère primitive à partir de 2,5 milliards d’années. Contrairement aux hypothèses en cours, le développement des cyanobactéries ne serait pas le facteur premier, il faut chercher l’origine du phénomène dans le bouleversement qu’a connu la Terre à cette époque avec l’émergence de grands continents accompagné d’un volcanisme aérien. Ce volcanisme aérien, émettant des gaz riches en soufre, a fini par laver l’océan du fer ferreux qu’il contenait, rendant alors possible la libération dans l’atmosphère de l’oxygène émis par les cyanobactéries. La géologie prime sur la biologie et le même scénario peut être imaginé sur d’autres planètes. Cette étude est publiée dans la revue Nature du 13 octobre 2011.

    Durant 2 milliards d’années, prés de la moitié de son vécu (entre 4,5 et 2,5 milliards d’années), la Terre a porté une atmosphère dépourvue d’oxygène. L’oxygène, concentré aujourd’hui à hauteur de 21% dans l’atmosphère, provient des plantes via la photosynthèse. Il est apparu dans l’atmosphère de la Terre après l’Archéen, il y a plus de 2,5 milliards d’années, à des niveaux de concentration 1000 fois plus faible qu’aujourd’hui. C’est la grande oxydation, mieux connue des géologues sous le terme anglais de « great oxidation event ». Avant cet événement, l’atmosphère était composée essentiellement de gaz carbonique et de méthane (CO2 +/-CH4). Les témoins de cette oxygénation soudaine sont multiples comme les gisements de fer rubané ou encore les changements radicaux du cycle géochimique du soufre. Pour mieux percevoir le bouleversement de la chimie à la surface de la Terre, passant de réductrice à oxydante, il suffit de prendre un exemple simple . Un clou baignant dans une marre aujourd’hui rouille alors qu’à l’Archéen,, un clou dans la même marre se serait dissout.

    Les raisons de l’apparition brutale de l’oxygène sont débattues. Les cyanobactéries, les premiers organismes photo-synthétisant de l’oxygène, sont apparues bien avant 2,5 milliards d’années. L’oxygène produit était alors consommé dans les réactions d’oxydation de la matière organique et du fer ferreux dissout dans les océans, mais aussi par oxydation des fluides hydrothermaux et des gaz volcaniques. Il a été longtemps pensé qu’un changement de l’état d’oxydation-réduction des gaz volcaniques à 2,5 milliards d’années avait pu être à l’origine de la grande oxydation. Cependant, les mesures géochimiques récentes indiquent de façon catégorique que les magmas, sources de ces gaz, et le manteau, source des ces magmas, ont un état redox qui n’a pas changé depuis 4 milliards d’années. Que s’est-il donc passé alors ? Les auteurs de l’article parus dans la revue Nature apportent une explication qui permet de dérouler la séquence d’événements menant à la grande oxydation.

    Première étape, la formation de grandes masses continentales et du volcanisme aérien

    Avant la grande oxydation on enregistre, à 2,7 milliards d’années, la plus forte production de croute continentale de l’histoire de la Terre. Un énorme événement géodynamique génère massivement continents et reliefs émergés qui n’existaient que de façon sporadique auparavant. Il est fort probable que le volume des océans ait aussi diminué. On passe alors d’une Terre à 99% sous-marine à une Terre avec des reliefs émergés qui nous est plus familière. La conséquence immédiate en termes d’activité volcanique est l’apparition du volcanisme subaérien alors que pour l’essentiel des temps Archéen, le volcanisme était sous-marin.

    A source magmatique égale, les gaz volcaniques générés par ces deux types d’éruption sont drastiquement différents. Le volcanisme sous marin émet peu de soufre, lequel est essentiellement sous la forme réduite H2S. Au contraire, le volcanisme subaérien émet des gaz riches en soufre, lequel est essentiellement sous la forme oxydée SO2. La pression d’équilibre entre gaz et liquide silicaté est très différentes entre volcanisme sous-marin (10-400 bar) et subaérien (10-1 bar), c’est elle, la force motrice de ce changement de spéciation du soufre.

    Seconde étape le cycle biogéochimique moderne du soufre se met en place

    En premier lieu, un tel changement dans la forme (de H2S à SO2) et les flux (de faible à fort) de soufre volcanique permet d’expliquer de façon simple l’enregistrement des fluctuations isotopiques du soufre dans les sédiments datés de l’archéen. En second lieu, l’injection importante de SO2 volcanique dans l’atmosphère par le volcanisme subaérien permet aux ions sulfates de se solubiliser dans les océans – alors que les océans Archéens ne contenaient pratiquement pas de soufre. En retour, ceci active les réactions de sulfato-réduction dans les fonds marins, en particulier dans les environnements hydrothermaux de type fumeurs. Dans ces fumeurs (noirs), le sulfate de l’eau de mer est réduit en sulfure de fer, fixant ainsi le fer hydrothermal et diminuant le potentiel réducteur des fluides hydrothermaux. C’est la mise en place d’un cycle biogéochimique du soufre quasi-moderne qui est permis par l’apparition du volcanisme subaérien.

    Troisième étape, les océans lavés du fer ferreux l’oxygène peut envahir l’atmosphère

    Les océans par ce processus de précipitation de sulfure de fer hydrothermal sont progressivement lavés du fer ferreux qui empêchait l’oxygène produit par les cyanobactéries d’envahir l’atmosphère. La voie de la grande oxydation est ouverte.

    La conclusion majeure de ces travaux est que le control géologique sur l’apparition de l’oxygène est prépondérant et place le rôle du biologique en second plan. Il en découle que l’oxygénation atmosphérique est un phénomène que l’on peut envisager sur d’autre planète. Mars, qui contient 10-4 bar d’oxygène dans son atmosphère a peut être vécu une grande oxydation similaire à celle sur Terre ; Vénus, non. La variation de pression du dégazage volcanique – 100 bar sur Vénus, donc comparable au volcanisme sous-marin sur Terre, contre 0.1-10-2 bar sur Mars, similaire au volcanisme subaérien terrestre – semble être une explication simple permettant l’oxygénation des atmosphères planétaires.

    Pour en savoir plus: 

    Quelques mots sur la méthode
    L’hypothèse faite est celle de l’équilibre thermodynamique entre liquide silicaté (basalte) et le fluide (gaz volcanique). Cet équilibre implique les éléments chimiques volatils S, H, et C et leur association variable avec l'oxygène pour former dans le gaz : SO2, H2O, CO2  pour les formes oxydées ; et H2S, H2, CO pour les formes réduites. Dans le liquide, ces éléments présentent des solubilités variables qui sont néanmoins essentiellement fonction de la pression, donc de la profondeur, que ce soit sous l'eau ou dans la Terre. Changer la profondeur de dégazage équivaut à des changements important de solubilité relative des espèces dans le liquide et, en retour, ceci génère des changements drastiques de composition des gaz volcaniques.

    Source(s): 

    Atmospheric oxygenation caused by a change in volcanic degassing pressure, Fabrice Gaillard1, Bruno Scaillet1 & Nicholas T. Arndt2.

    1) Institut des Sciences de la Terre d’Orléans,

    2) ISTerre, Grenoble,


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